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ce suprême effort ? Une politique injuste et pusillanime nous a réduits à un rôle humiliant ; nous demandons la paix, et la paix nous est refusée. Marie-Thérèse se venge.

Ah ! quelle que fût alors la frivolité de l’esprit public, des préoccupations douloureuses agitaient bien des cœurs. En veut-on une preuve singulièrement touchante ? L’Académie française avait proposé pour sujet du prix d’éloquence en 1745 un discours sur l’inégalité des richesses d’après ce texte de la Bible : dives et pauper obviaverunt sibi, utriusque operator est Dominus ; le pauvre et le riche se sont rencontrés, le Seigneur a fait l’un et l’autre. » Un jeune écrivain obscur encore, inconnu, accablé d’infirmités, soutenu seulement par la hauteur de son âme et l’amitié de Voltaire, se met à commenter ces paroles, qui répondent si bien à sa propre situation. Il médite sur ce terrible problème de l’inégalité des richesses, et tout d’abord, songeant à l’égalité bien autrement terrible des infortunes humaines, il évoque avec une compassion éloquente et hardie l’image du Louis XV menacé dans son royaume à côté de l’image de l’empereur Charles VII, récemment couché dans la tombe. « Un homme obligé par état à faire le bonheur des autres hommes, à les rendre bons et soumis, à maintenir en même temps la gloire et la tranquillité de la nation, lorsque les calamités inséparables de la guerre accablent ses peuples, qu’il voit ses états attaqués par un ennemi redoutable, que les ressources épuisées ne laissent pas même la consolation de l’espérance, ô peines sans bornes ! quelle main séchera les larmes d’un bon prince dans ces circonstances ? S’il est touché comme il doit l’être de tels maux, quel accablement ! s’il y est insensible, quelle indignité[1] ! » Et quelques lignes plus loin : « mêmes infirmités, mêmes faiblesses, même fragilité se font remarquer dans tous les états ; même sujétion à. la mort qui met un terme si court et si redoutable aux grandeurs humaines. S’il fallait donner un exemple plus frappant de ces vérités, la Bavière et la France en deuil nous le fourniraient. Oserai-je le proposer et me permettra-t-on cet écart ? Un prince s’était élevé jusqu’au premier trône du monde par la protection d’un roi puissant ; l’Europe, jalouse de la gloire de son bienfaiteur, formait des complots contre lui ; tous les peuples prêtaient l’oreille et attendaient les circonstances pour prendre parti. Déjà la meilleure partie de l’Europe était en armes, ses plus belles provinces ravagées ; la mort avait détruit en un moment les armées les plus redoutables ; triomphantes sous leurs ruines, elles renaissaient de leurs cendres ;

  1. Il est évident que l’auteur écrivait ces paroles au commencement de 1745, avant la bataille de Fontenoy.