Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/625

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le volume d’eau variant régulièrement entre de faibles limites. Pourquoi faut-il que cette eau si belle et si pure soit plus ou moins saumâtre et chargée des sels dont la terre est imprégnée ? Diverses analyses, faites par MM. Vatonne et Lefranc, montrent que ces eaux contiennent toujours de 1 à 3 grammes de sulfate de soude par litre, de 1 à 2 grammes de sulfate de chaux, puis du chlorure de sodium, du magnésium et du carbonate de chaux. Véritables eaux minérales, elles sont légèrement purgatives, et le voyageur novice s’en aperçoit bientôt.

Plusieurs de ces puits présentent une particularité qui pendant longtemps n’a trouvé que des incrédules parmi les naturalistes. Au moment du jaillissement des eaux du puits d’Aïn-Tala, dont la profondeur est de 44 mètres, le capitaine Zickel remarqua de petits poissons qui se débattaient dans le sable rejeté par l’orifice du puits. Nous en avons vu nous-même dans le canal d’écoulement de plusieurs puits et dans quelques fontaines artésiennes naturelles. Les plus grands de ces poissons n’excèdent pas 4 centimètres de longueur. Ce sont des malacoptérygiens ressemblant à nos ablettes. Ils sont identiques à une espèce[1]des eaux douces de Biskra, décrite par M. le docteur Guichenot. Les yeux de ces petits êtres sont très bien conformés, quoiqu’ils passent une partie de leur existence dans l’obscurité. Du reste le fait n’est pas unique dans la science, et M. Aymé, gouverneur des oasis de Thèbes et de Garbe en Égypte, écrivait en 1849 à M. Ch. Laurent qu’un puits artésien antique, de 105 mètres de profondeur, qu’il avait nettoyé, lui fournissait pour sa table des poissons qui provenaient probablement du Nil. Le sable qu’il avait extrait de ce puits artésien étant identique à celui du fleuve, dans le Sahara comme en Égypte ces poissons seraient donc entraînés par les eaux qui s’infiltrent dans le sol jusqu’à la nappe souterraine dont les puits artésiens sont les évents.

Les conséquences de ces forages artésiens dépassent toutes les prévisions. Exécutés dans le désert sur des points convenablement choisis, ils serviront d’étape et de lieux de bivac aux voyageurs et aux colonnes qui pénètrent dans ces solitudes : tels sont les puits de Saada, de Chegga, d’Om-el-Thiour et d’Ourir, sur la route de Biskra à Tougourt. Des essais de culture faits autour de ces puits ont assez bien réussi[2]. Les puits artésiens forés dans les oasis par les Français en augmentent l’étendue : les nouveaux terrains qu’ils

  1. Cyprinodon cyanogaster.
  2. Un pauvre nègre du Bournou avait été pris comme esclave, amené par son maître chez les Touaregs et vendu successivement quatre fois. Étant arrivé enfin dans les possessions françaises, il apprit qu’il était libre, et on lui donna même, près des puits de Chegga, des terres où il cultive de l’orge, du millet, des pastèques, des navets, et élève quelques volailles, achetées par les voyageurs.