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rappelaient les puits finlandais sur les bords du fleuve Torneo ; mais quelle différence dans l’aspect du pays, et surtout dans le costume et la physionomie des hommes qui entouraient ces puits ! Dans le désert, nous avions sous les yeux les scènes de la Bible. Les chameaux entouraient l’auge qu’un jeune Arabe remplissait avec une outre en peau de chèvre attachée à la corde qui plongeait dans le puits. Les animaux buvaient lentement, et quand ils avaient fini, ils relevaient la tête ; mais si le conducteur jugeait que leur pause ne fût pas suffisamment remplie pour le trajet qu’ils avaient à parcourir, il tirait sur la corde attachée à leur tête, qu’il abaissait vers l’auge : l’animal comprenait que le voyage jusqu’au puits le plus rapproché serait long, et se remettait à boire. Souvent un vieillard à barbe blanche était majestueusement assis à l’écart, tournant son chapelet entre ses doigts : c’était le père, le chef de cette famille ; c’était Abraham. Une jeune fille demi-voilée, dont les yeux noirs brillaient entre les plis du haïk, présentait une amphore appuyée sur sa hanche ; le jeune Arabe la remplissait avec l’outre que la bascule faisait sortir du puits : c’était Rachel et Jacob. Des enfans presque nus jouaient sur le sable ; les moutons et les chèvres, contenus par leurs bergers, attendaient leur tour pour s’approcher de l’auge et s’abreuver de l’eau salée. N’est-ce pas un tableau de la vie des patriarches dont les descendans étaient sous nos yeux, et Horace Vernet n’a-t-il pas eu mille fois raison de peindre les scènes bibliques avec les costumes arabes ? Chez ce peuple où rien se change, le costume a dû rester le même, comme les mœurs et les croyances. Le monothéisme musulman diffère bien peu du monothéisme judaïque : un prophète de plus, Mahomet, voilà la seule addition importante.

Le soir, vers le coucher du soleil, nous nous apprêtions à bivaquer. On choisissait de préférence le voisinage d’un puits ou urne localité riche en arbrisseaux ligneux à longues racines. Un feu était allumé, et ces broussailles desséchées pendant tout l’été flambaient en un instant. Le cuisinier creusait dans le sable un fourneau improvisé et commençait son œuvre. Les chevaux étaient entravés à une seule corde fixée par des piquets. S’ils arrachent ces piquets et se sauvent, ils ne peuvent pas se séparer, et on les rattrape plus facilement. Pendant ce temps, les chameaux, toujours en arrière, nous avaient rejoints ; ils s’accroupissaient en grommelant ; on les débarrassait de leurs fardeaux, et trois tentes se dressaient, deux pour nous, une pour les zouaves. Les cantines, grands coffres en bois qu’on peut charger indifféremment sur des mulets et sur des chameaux, étaient placées sous les tentes. Sur ces cantines, qui contenaient nos effets et nos collections, on fixait des fonds de sangle