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désert. Peu à peu cependant les bruits cessèrent, les feux s’éteignirent, et les Arabes, la tête cachée sous leurs burnous, s’endormirent malgré une pluie assez forte qui dura toute la nuit. Nous avions jusque dans le Sahara le retentissement du temps affreux qui régnait en France et sur la Méditerranée au commencement de décembre. Un vent de nord-ouest, soufflant par rafales, nous lançait les dernières ondées ; au sud, le ciel était clair, et cette pluie, si insolite dans le Sahara au mois de décembre, s’arrêtait aux limites septentrionales du désert.

Nous ne campions pas toujours. Dans l’Oued-Rir, semé d’oasis, nous passions la nuit sous le toit hospitalier des cheikhs ou maires des villages connus du capitaine Zickel. Une heure avant d’arriver à l’oasis, il envoyait en avant le spahi Bechir prévenir le cheikh de notre arrivée. Bechir partait au grand galop de son cheval gris pommelé et disparaissait bientôt à l’horizon. Non loin de l’oasis, nous apercevions le cheikh, orné de son burnous rouge et entouré des principaux habitans du village, venant à cheval à notre rencontre. À 50 mètres de distance, la troupe s’arrêtait, tous mettaient pied à terre et s’approchaient pour baiser la main du capitaine talel-ma (le capitaine qui fait monter l’eau), surnom de M. Zickel dans le désert. En même temps ils portaient alternativement la main à la tête et au cœur. Ignorant notre qualité, ou nous prenant pour des mercanti, gens de négoce pour lesquels ils ont une médiocre estime, ils ne nous adressaient pas la parole ; mais dès que le capitaine leur avait dit : « Je vous présente nos amis, » suivant la formule orientale, alors ils venaient nous donner une cordiale poignée de main, témoignant par leurs gestes du bonheur qu’ils avaient de nous recevoir. Il est impossible de se figurer la noblesse de manières qui distingue ces villageois. C’est un mélange, de grandeur, de simplicité et de cordialité affectueuse réunissant tout ce que nous exigeons de la plus exquise politesse. Après cet accueil, nos hôtes rejoignaient leurs chevaux, qui n’avaient pas bougé de place, se mettaient en selle et nous précédaient pour entrer dans le village. Les enfans, entassés à l’entrée, nous saluaient de leurs cris et se sauvaient immédiatement après ; les femmes se cachaient pour regarder à travers les portes entre-bâillées ou les nattes tendues devant les meurtrières qui tiennent lieu de fenêtres. Nous entrions dans la maison du cheikh, plus grande en général que les autres. La salle était garnie d’un tapis et entourée de coussins. Notre cuisinier apprêtait notre repas, le cheikh de son côté nous offrait la diffa, composée ordinairement de couscoussou assaisonné à la sauce au piment, de mouton coupé en morceaux et bouilli, de volailles et de dattes. Nous mettions les deux repas en commun et nous invitions