Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/645

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cardinales symbolisées dans les statues de bronze groupées autour de la colonne que la reconnaissance nationale a élevée depuis à la mémoire du congrès : liberté de la presse, liberté des cultes, liberté de l’enseignement, liberté d’association. C’était placer l’état, complètement désarmé, face à face non seulement avec des individus munis de tous les droits garantis par la constitution, mais avec les groupes d’individus qui pourraient s’unir, se liguer pour le combattre, avec les associations qui pourraient naître à l’avenir, et, qui plus est, avec une association déjà formée, puissante par le nombre de ses membres, par l’empire de ses traditions, par la rigueur de ses doctrines, organisée comme une armée, ayant sa milice répandue dans tout le pays, et son chef suprême à l’étranger, l’église. Il fallait se transporter de l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, pour trouver un régime comparable à celui qu’on inaugurait si intrépidement en Belgique. Rien de semblable n’existait et n’existe encore sur le continent européen, ni même en Angleterre, où du moins l’église nationale est dans les mains de l’état. À peu près partout, les pouvoirs publics ont quelques moyens de surveiller les actes ou de limiter le nombre des associations qui leur semblent menacer l’ordre général ou la sécurité du pays. En France, le gouvernement peut invoquer tant de lois, de décrets et d’arrêtés, qu’il lui est facile, soit administrativement, soit en faisant agir la magistrature, d’atteindre toute espèce d’association, fût-ce même une société de bienfaisance, comme celle de Saint-Vincent-de-Paul ou une corporation religieuse, comme celle des capucins, expulsée naguère du département du Nord. La législation est si restrictive, qu’elle va jusqu’à entraver la liberté des cultes, formellement garantie par toutes les constitutions successives[1]. En Suisse, les jésuites bannis du territoire de la confédération, les couvens de l’Argovie et du Tessin supprimés, montrent assez combien les lois cantonales et fédérales différent à cet égard de celles qui règnent en Belgique, et ce n’est certes ni en Allemagne, ni en Espagne, ni en Portugal, ni en Italie, qu’il faut chercher une plus grande tolérance en cette matière. Partout la crainte des clubs ou celle des couvents a dicté des mesures préventives. En Belgique, le droit d’association est absolu ; on peut se réunir en n’importe quel endroit, pour n’importe quel but, en n’importe quel nombre, s’associer d’une manière permanente, se cotiser, former un budget, appeler la foule, la haranguer, lui prêcher l’opposition au gouvernement, couvrir le pays de clubs ou de couvens, assembler des meetings et

  1. Voyez l’excellent article de M. Prevost-Paradol sur cette matière dans la Revue du 15 septembre 1858.