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Au XVIe siècle, tandis que la Hollande fonde son indépendance en adoptant la réforme, la Belgique, trahie par le clergé et par l’aristocratie, retombe sous le joug de l’Espagne. Alors commence une sombre période qui dure deux siècles. Les glorieuses communes du moyen âge perdent leur population, leur richesse et leur énergie ; le commerce, l’industrie périssent, l’agriculture même déclina : seuls, les couvens se multiplient et s’enrichissent. Tout mouvement littéraire ou scientifique fut comprimé, étouffé. Pendant qu’en Hollande tout un groupe de penseurs éminens se mettait à la tête de la rénovation des sciences et de la philosophie, en Belgique la vie intellectuelle était anéantie. Plongée dans un engourdissement mortel, elle restait entièrement étrangère au réveil des esprits qui signala le XVIIe et le XVIIIe siècle. Le clergé régnait en maître, et les jésuites dominaient le clergé. Pour donner une idée du régime de ce temps, il suffit de rappeler qu’un édit du 12 février 1739 prononçait la peine de mort et la confiscation des biens « contre tous ceux qui auraient osé composer, vendre ou distribuer quelques libelles ou écrits impugnant aucun point de notre sainte religion, » et que même en 1761 l’impératrice Marie-Thérèse était obligée de publier un décret pour s’opposer à la mise à exécution de l’index prononcé contre les œuvres de Bossuet, qu’on voulait partout livrer aux flammes. Un savant canoniste, professeur à l’université de Louvain, un prêtre, un saint, le seul écrivain de mérite de ce temps de complète stérilité, van Espen, était obligé de se retirer en Hollande à l’âge de quatre-vingts ans pour échapper aux persécutions que lui suscitait la compagnie de Jésus, parce qu’il avait osé défendre quelques-unes des libertés gallicanes.

Nulle part les principes ultramontains n’exerçaient un empire plus absolu que dans les provinces belges. Aussi l’on comprend avec quelle indignation, quelle fureur furent accueillies les réformes de Joseph II, imposées sans doute avec une précipitation despotique, mais toutes inspirées par l’esprit moderne : la proclamation de la tolérance et de l’égale admissibilité de tous les citoyens aux emplois, le mariage soustrait à l’arbitraire des tribunaux ecclésiastiques et transformé en contrat civil, la suppression des ordres contemplatifs, et d’autres mesures ayant pour but de relever le niveau de l’instruction du clergé inférieur, maintenu dans une dépendance complète et dans une ignorance profonde. L’archevêque de Malines condamna l’édit de tolérance, souleva le peuple et bénit les armes de l’insurrection. Ainsi donc, par un contraste qu’explique le passé, dans le même temps où la révolution française s’accomplit au nom de la raison pour renverser l’ancien régime, la révolution brabançonne se fait au nom de la théocratie pour repousser les réformes libérales d’un souverain philosophe, et, tandis que l’une est dirigée