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Turenne et du maréchal de La Ferté. Au mois de juin, les deux généraux mirent le siège devant Valenciennes. Outre l’Escaut, qui coupait en deux points leur ligne de circonvallation, une inondation artificielle, fort habilement ménagée par les Espagnols, séparait les quartiers des assiégeans et rendait leurs communications difficiles. Était-ce assez, pour les assurer à tout risque, de deux ponts sur la rivière et d’une digue en fascinage à travers les terrains inondés ? Tandis que, par suite d’une autre erreur dans le choix du point d’attaque, l’assiégeant dirigeait ses efforts contre la partie la plus forte de la place, une armée de secours parut, commandée par don Juan d’Autriche et par M. le Prince. Le maréchal de La Ferté se gardait mal. Dans la nuit du 15 au 16 juillet, ses retranchemens furent assaillis et forcés tout de suite. En un moment, les ponts furent encombrés de fuyards ; on s’écrasait, on s’étouffait ; les morts amoncelés fermèrent aux vivans le passage ; de l’autre côté, la digue, imparfaite et minée par les eaux, s’effondra sous les pieds des bataillons que Turenne envoyait au secours de son imprudent collègue. Turenne vit bien qu’il n’y avait plus qu’à se retirer : il fit sa retraite en bel ordre ; mais M. le Prince avait eu sa revanche d’Arras. Vauban a porté sur tout ce siège de Valenciennes un jugement sévère. « Il n’est pas concevable, a-t-il dit, combien les Français y firent de fautes ; jamais lignes ne furent plus mal faites et plus mal ordonnées, et jamais ouvrage plus mal imaginé que la digue à laquelle on travailla prodigieusement pendant tout le siège, et qui n’était pas encore achevée lorsqu’on fut obligé de le lever. Les Espagnols ne firent pas de même : pour cette fois, ils agirent en véritables gens de cœur et d’esprit, et nous tout au contraire[1]. » Les fautes qu’il signalait avec cette force, Vauban ne les avait-il donc vues qu’après coup ? ou bien, s’il les avait vues dès le premier jour, comment ne les avait-il pas fait réparer ? C’est que les ingénieurs n’étaient point en ce temps-là d’assez grands personnages. Serviteurs très humbles des officiers-généraux, ils ne pouvaient qu’exécuter leurs ordres. Comment un ingénieur, capitaine tout au plus, aurait-il eu voix au chapitre ? Il n’y prétendait même pas, sachant bien que, s’il se haussait à dire son avis, il serait tout à l’heure rabaissé, rabroué, sinon formellement puni de son impertinence. Aussi la plupart, muets d’abord par nécessité, finissaient-ils par s’accommoder à leur condition ; ils cessaient de penser et d’agir. Il y a sur cette humilité des ingénieurs et sur l’arrogance des généraux une éloquente protestation de Vauban.


« Par leur autorité, s’écrie-t-il, les officiers-généraux ordonnent comme

  1. Mémoire pour servir d’instruction dans la conduite des sièges.