Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/741

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

détermine les attributs, l’immensité, l’éternité, la simplicité, l’immutabilité ; je le conçois comme idéal de l’esprit plus encore que de la nature, comme le type de la vérité, de la sainteté, de la justice et de la beauté. La science que je construis ainsi, tout idéale qu’elle est, n’en est pas moins vraie : elle sert de critérium et de phare à toutes les sciences psychologiques et morales, comme la géométrie à toutes les sciences physiques.

Telle est la doctrine de M. Vacherot, et quoique je ne puisse y souscrire, elle ne me paraît ni sans originalité, ni sans beauté. Sans doute, quel triste ciel que ce ciel qui ne vit qu’en nous, qui naît et qui meurt avec nous, et dont le seul lieu est la pensée ! Mais enfin cette doctrine prouve qu’il faut un ciel, en quelque endroit qu’on le place, et il y a une sorte de sévère grandeur, renouvelée du stoïcisme, dans ce culte du dieu intérieur, c’est-à-dire de la pensée. C’est évidemment la pensée qui s’adore elle-même sous les noms et sous la figure de l’idéal, car l’idéal est l’œuvre de la pensée, ou plutôt il en est l’essence et la loi suprême. O religion ! tu te venges de tous ceux qui t’attaquent en t’imposant à eux sous la forme qui leur plaît le plus. Si étroit que soit l’espace où ils se retirent, tu t’y fais un autel, et tu métamorphoses les armes mêmes employées contre toi. L’athée licencieux et sensuel du XVIIIe siècle divinise la nature et croit au surnaturel dans Mesmer et Cagliostro. L’idéaliste austère, réfugié dans l’enceinte de sa pensée, divinise cette pensée même, et croit que ce dieu est trop grand pour qu’aucune puissance, même la puissance absolue, atteigne jamais à cette grandeur !


III

Avant de discuter plus à fond cette doctrine, reconnaissons le service qu’elle rend à la science philosophique en provoquant l’attention des métaphysiciens sur la distinction de deux idées essentielles trop facilement confondues : l’idée d’infini et l’idée de parfait. Nous admettons cette distinction, et les subtiles et profondes analyses de M. Vacherot ne sont pas perdues pour nous ; mais M. Vacherot n’exagère-t-il pas la portée de cette distinction en affirmant que l’une de ces idées a un objet réel, et que l’autre n’en a pas, en faisant de celle-ci une simple conception, et de celle-là une intuition nécessaire ? Le scepticisme de Kant avait enveloppé ces deux idées dans une même ruine : M. Vacherot fait une part dans ce scepticisme : il y consent pour l’idée du parfait ; il s’en sépare pour l’idée de l’infini. Cette séparation est-elle légitime ? Nous ne le pensons pas. Nous accordons à M. Vacherot que l’existence du parfait n’est