Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/743

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la perfection sans connaître précisément ni pouvoir mesurer les perfections. La doctrine du Dieu caché (Deus absconditus) est une doctrine qui se concilie avec le plus pur spiritualisme. Un déisme d’école qui trouve tout clair dans la nature divine et se contente de transporter en Dieu la psychologie humaine ne peut être considéré par les métaphysiciens que comme une entrée dans la théodicée, mais non pas comme la théodicée elle-même. La théologie chrétienne est plus profonde et plus vraie en admettant des mystères dans la nature divine. Les grands théologiens, en interprétant à la lueur de la conscience humaine le mystère de la Trinité, et en consentant à dire que la triplicité des facultés en est une image, ne font que se proportionner à la faiblesse de notre esprit ; mais quand ils disent que Dieu est puissance, entendement et amour, ils parlent la langue des hommes, ils ne parlent pas de Dieu tel qu’il est en soi. En soi, Dieu est bien autre chose : il est le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Si cette grande formule n’avait d’autre sens que celui du déisme psychologique, que servirait-il d’en faire un mystère ? Si la théologie a ses mystères, pourquoi la philosophie n’aurait-elle pas les siens ? Pourquoi n’admettrait-on, pas que l’essence de Dieu nous est cachée, quoiqu’on puisse s’en rapprocher par de prudentes et circonspectes inductions ? Fénelon a exprimé cette doctrine dans l’une des phrases les plus belles et les plus profondes du Traité de l’Existence de Dieu. « Je me représente, dit-il, cet être unique par diverses faces, c’est-à-dire suivant les différens rapports qu’il a à ses ouvrages : c’est ce qu’on nomme perfections ou attributs. Je donne à la même chose divers noms suivant ses rapports extérieurs ; mais je ne prétends point, par ces divers noms, exprimer des choses réellement diverses. »

En se plaçant à ce point de vue, on échappe d’abord à la plupart des difficultés et obscurités que l’on rencontre en théodicée, car il me semble que dans ces sortes de problèmes mieux vaut se taire que de donner des explications insuffisantes qui ne font que stimuler et provoquer l’incrédulité. Bien plus, certaines paroles qui, à un autre point de vue, peuvent paraître ou trop dures, ou trop superficielles, prennent un sens singulièrement grand et profond qui plaît à l’esprit. Par exemple, qui ne serait d’abord révolté et scandalisé en lisant ces dures paroles de saint Paul : « Le vase a-t-il droit de dire au potier : Pourquoi m’as-tu fait ? » Mais à la réflexion ces paroles nous semblent profondément sages, car s’il y a une perfection primitive et absolue à l’origine de toutes choses, qu’ai-je besoin de savoir pourquoi tel ou tel accident qui nous paraît pénible a lieu, et ne dois-je pas supposer que tout a sa raison, et une raison adorable, lors même que je ne saurais la trouver ? D’un