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avec Descartes comment nous en avons l’idée. Comment une créature imparfaite pourra-t-elle s’élever à un tel idéal, qui dépasse, dit-on, toute réalité possible ? Sans doute, si l’idée du parfait n’est qu’une représentation confuse de l’imagination et du désir, rien de plus facile à expliquer ; mais quelle en est alors la valeur et l’autorité ? Comment pourrait-elle conserver le rôle qu’elle joue dans la philosophie de M. Vacherot, le rôle de loi suprême et de modèle absolu ? Il faut alors renoncer à tout espoir et à toute pensée de se distinguer des écoles empiriques, car le réel, sévèrement étudié, sera toujours une règle d’action bien plus sûre que le vague objet d’une imagination exaltée ; mais ce n’est pas là l’idéal tel que l’entend M. Vacherot. Pour lui, l’idéal est l’objet d’une conception vraiment rationnelle. C’est une idée absolue, dégagée de l’expérience par la vertu de la raison pure. D’où nous vient pourtant une telle idée ? où en avons-nous pris les élémens ? Cette idée, qui n’a pas d’objet et qui n’en aura jamais, est une vraie création de notre esprit. Dans la théodicée vulgaire, c’est Dieu qui crée l’homme ; dans votre théodicée, c’est l’homme qui crée Dieu : cette seconde création est-elle plus intelligible que la première ?

On me dit que je ne puis concevoir un être parfait, car, par cela seul que je fixe un degré de perfection, j’en puis concevoir un plus grand, et un plus grand encore, et ainsi de suite à l’infini, sans que je puisse comprendre que cet infini de perfection puisse être jamais réalisé. Je réponds : Pouvez-vous comprendre qu’un infini de temps soit réalisé ? Et cependant il faut bien admettre que quelque chose a existé de toute éternité. Quel philosophe oserait dire qu’il y a eu un commencement absolu, avant lequel rien n’était, absolument rien ? Qu’est-ce cela, sinon un infini de durée, un absolu de durée ? Il faut bien admettre aussi, quelque nom qu’on lui donne, quelque chose qui existe par soi-même et sans cause, c’est-à-dire un absolu d’existence. Il faut admettre que ce quelque chose, soit qu’on le confonde avec le monde, soit qu’on l’en sépare, qu’on lui prête une étendue réelle ou une étendue d’action et de puissance, est immense et sans limites dans l’espace. Voilà un absolu d’espace. Dès lors, pourquoi ne pas admettre, quand même on ne le comprendrait pas davantage, que cet infini d’existence, d’espace et de durée est infini dans tous les sens et absolu dans tout ce qu’il est, dans tous ses attributs et dans toutes ses qualités ? Or c’est là ce que j’appelle la perfection, c’est-à-dire la plénitude d’existence, l’entier épanouissement de la puissance et de l’être. Quoique je ne comprenne pas comment l’infini de qualité peut être réalisé, je n’y vois cependant pas de contradiction, car l’infini d’espace et de temps (soit qu’on l’entende comme une présence réelle dans l’espace et