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avenir, nul idéal. Il n’en est pas de même dans la doctrine de Hegel ni dans celle de M. Vacherot : la nature, suivant eux, poursuit un but ; ce but, c’est le perfectionnement continu, c’est le développement de son essence dans un progrès constant. Sans doute une telle doctrine est plus élevée, plus religieuse, plus haute que le mécanisme épicurien, que le fatalisme géométrique de Spinoza. Dans cette théologie, la nature aspire au parfait. Ce parfait, dont elle est elle-même le germe, est son Dieu ; la nature aspire à la pensée, et cette pensée, qui s’exprime en elle sans qu’elle le sache, est son âme. J’ai dit déjà combien il serait injuste de confondre une telle doctrine avec l’athéisme et le matérialisme ; mais enfin allons au fond des choses, et demandons comment il se fait que la nature marche Vers un but qu’elle ignore, et qu’elle soit guidée en quelque sorte par un flambeau qui n’existe pas.

Que l’homme agisse en vue de l’idéal (cet idéal ne fût-il qu’un rêve), je le comprends encore, car enfin l’homme conçoit cet idéal, et je sais qu’une pensée peut déterminer une action ; mais que cette notion, qui n’est qu’un produit de l’esprit humain, puisse être un stimulant, une raison d’agir pour une nature aveugle, et cela avant même que l’esprit humain ait apparu dans le monde, c’est là un ensemble d’impossibilités que l’on peut bien admettre, quand on a un système et qu’on y tient, mais qu’un esprit froid et désintéressé ne peut accepter. Tiraillé entre le fatalisme épicurien ou spinoziste et l’optimisme platonicien ou leibnitzien, la doctrine de la finalité instinctive ne peut se suffire à elle-même. Il faut qu’elle tombe dans l’un ou s’élève à l’autre.

Le spectacle de la nature nous offre trois classes d’êtres, ou, si l’on veut, trois degrés d’êtres profondément différens : au premier degré, la matière brute, obéissant à des lois mécaniques, à des combinaisons fatales et mathématiques, se développant en apparence sans raison et sans but ; au second degré, la vie, dont le caractère le plus saisissant est une combinaison de moyens appropriés à une fin, qui manifeste par conséquent l’idée de but et l’idée de choix ; seulement ce choix, dans les êtres vivans, paraît être l’objet d’un instinct aveugle, d’une activité qui s’ignore. Au troisième degré sont les êtres intelligens qui poursuivent le but avec réflexion et volonté. À ces trois classes d’êtres correspondent trois théologies distinctes, et le principe des choses a été conçu par analogie avec les trois ordres de causes que nous connaissons : la nécessité aveugle, l’instinct, la volonté intelligente et libre. les athées conçoivent la cause suprême comme une force aveugle, les panthéistes comme une vie inconsciente, les théistes comme une pensée et une volonté. Ceux-ci font Dieu à l’image de l’homme, les panthéistes à l’image