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qu’ils construisent au milieu de leurs champs pour se rendre les esprits propices et obtenir d’eux une bonne récolte.

De toutes les races qui couvrent cette terre, la race nègre est celle qui résiste le plus à l’action de la civilisation ou aux efforts de la foi chrétienne. Le gouvernement autrichien avait établi, il y a une quinzaine d’années, une mission catholique à Gondokoro, sous le 4° 54’ de latitude nord. Il voulait faire prêcher les vérités chrétiennes aux tribus qui vivent sur les bords du Nil-Blanc. Vingt prêtres s’y sont succédé, quinze y sont morts, et pas une conversion n’est venue récompenser leur dévouement. La mission a dû être supprimée, et le personnel qui la composait a été réuni à celle de Khartoum. Les Arabes se vantent de gagner cette race tout entière à l’islamisme, et il faut avouer qu’ils ont fait dans son sein de véritables progrès. Au nord comme à l’est, des multitudes ont subi le joug mahométan ; mais aucun élément civilisateur n’accompagne ces conquêtes. Les nègres musulmans ne diffèrent de leurs compatriotes idolâtres que par quelques phrases inintelligibles qu’ils prononcent à de certains momens de la journée, et surtout par de fastidieuses répétitions du mot Allah. Aucune des garanties qui forment les premières assises d’une civilisation durable et progressive ne se trouve au milieu d’eux. Ils sont restés étrangers à la véritable vie de famille, au respect que l’on doit à la personne humaine, à l’honneur du travail libre. La vie n’a pas acquis plus de prix à leurs yeux qu’elle n’en avait avant leur conversion. L’homme et la femme ne sont pas dans des rapports naturels, et le sentiment qui réagit si puissamment sur la société, la pudeur, ne s’est pas encore fait jour dans le cœur de la négresse musulmane. Le caractère africain est resté intact, l’islamisme n’a fait que l’effleurer. Aux portes mêmes de Zanzibar et des villes de la côte, et malgré un contact journalier avec les Arabes, le nègre se présente dans toute la crudité de sa première nature.

Quelle peut être la cause d’un semblable phénomène ? L’intelligence de l’Africain est-elle incapable de concevoir les idées qui sont inhérentes à la vie civilisée ? Nullement. Les enfans noirs qui sont placés dans les écoles d’enfans blancs font autant de progrès que leurs camarades. En Amérique, comme dans la colonie de Libéria, l’on rencontre des nègres d’une intelligence supérieure et des prédicateurs éloquens. Il ne faut donc pas désespérer de l’avenir de cette race. Si elle a opposé jusqu’à ce jour une puissance d’inertie ou une grande indifférence à l’action de la civilisation. chrétienne, il n’en faut pas conclure qu’elle soit condamnée à une abjection éternelle. Depuis trois siècles qu’elle a des rapports avec les Européens, ceux-ci ne lui ont apporté que des élémens de dissolution et de mort ; par la traite, ils ont travaillé au développement