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équivaut à un « laisser-passer. » Cette coutume est générale dans toute cette partie de l’Afrique orientale[1].

L’Usagara, voisin de l’Uzaramo, a 160 kilomètres de l’est à l’ouest. Ce pays, que le 7e degré de latitude sud partage en deux parties égales, est tout entier sur le versant du vaste plateau de l’Afrique intertropicale. C’est le 17 octobre que le capitaine en franchit la frontière. Il remarqua, en y entrant, que le sol n’est pas à plus de 500 pieds au-dessus du niveau de la mer, mais qu’il s’élève graduellement jusqu’au bourrelet dont nous avons parlé. Ce bourrelet, du côté où se trouvait le voyageur, est formé de deux chaînes de montagnes qui courent parallèlement du nord-est au sud-ouest, et qui s’enchevêtrent l’une dans l’autre par des embranchemens moins élevés. Ces montagnes sont de production volcanique ; elles ont pour contre-forts de hautes collines sillonnées par de profonds ravins. Les deux officiers mirent plus d’un mois à traverser l’Usagara, n’ayant fait, terme moyen, que 5 kilomètres par jour. Des montées et des descentes se succédant sans interruption mirent leur patience à une rude épreuve jusqu’au moment où ils eurent atteint 5,000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Ils se trouvaient alors dans un autre royaume nègre, l’Ugogo, sous le 6° 31′ de latitude sud et le 32e degré de longitude est. De ce point culminant, la vue embrassait un vaste horizon. On découvrait une fraction de cet immense plateau

  1. C’est près des dernières limites de ce pays, dans un village appelé Dege-la-Mhora, qu’une première expédition scientifique dirigée par un Français eut un terme fatal. M. Maizan, officier de la marine française, après avoir été en station dans les eaux de l’Océan-Indien, qui baignent les côtes du Zanzibar, avait formé le projet, trop vaste il est vrai, de traverser l’Afrique de l’est à l’ouest. Il s’en ouvrit au consul anglais et au sultan de Zanguebar, qui l’encouragèrent à mettre ce plan à exécution, et lui prêtèrent un utile concours. Ce dernier avait même chargé un marchand indien de le conduire en sûreté jusque dans l’Unyamuesi. Après quelques journées de marche, un des individus de la suite de M. Maizan tomba malade. Ne voulant pas l’abandonner, il fit halte, espérant que quelques jours de repos suffiraient pour lui rendre la santé. Le marchand s’arrêta également, bien qu’un délai quelconque portât préjudice à ses intérêts. Après une halte de huit ou dix jours, les deux voyageurs se séparèrent d’un consentement mutuel. M. Maizan ne se doutait pas le moins du monde du sort qui l’attendait. Il ne comprit pas qu’en se séparant du marchand auquel il avait été confié, il perdait aux yeux des habitans du pays la protection du sultan et se trouvait exposé aux machinations d’adversaires inconnus qu’il avait laissés derrière lui. Ces adversaires étaient des marchands arabes qui, ne pouvant croire qu’un individu entreprit un voyage aussi long et s’exposât à tant de périls dans le seul intérêt de la science, s’étaient imaginé qu’il avait l’intention de découvrir les lieux qu’ils exploitaient et de connaître les secrets de leur trafic. Comme ils réalisaient des bénéfices énormes, il leur importait que ces secrets ne fussent pas dévoilés. Ils soudoyèrent en conséquence le chef de l’un des districts que M. Maizan devait traverser pour qu’il l’arrêtât au passage. Celui-ci donna des ordres à son fils Hembé, qui était le chef du village où le voyageur se trouvait. La case de M. Maizan est envahie, on s’empare de sa personne, on le garrotte, on l’attache au pieu d’une palissade et on l’y égorge pendant qu’un individu bat du tambour pour couvrir les cris de la victime.