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Speke et son ami ne soient pas restés un jour ou deux dans la localité pour être témoins des opérations du recrutement. Peut-être auraient-ils retardé leur départ sans la résistance de leurs nouveaux porteurs, qui s’étaient, mutinés pour avoir une augmentation de paie. Le capitaine leur donnait cependant un chapelet de verroterie par jour, trois fois plus qu’ils ne recevaient des marchands arabes. Le calme s’étant rétabli, il se remit en route, et, après huit jours de marche, arriva dans le district de Mininga. L’homme le plus considérable de ce district était un marchand d’ivoire, vieux et cassé, du nom de Sirboko, qui, à l’exemple de beaucoup de ses confrères, s’était converti en fermier ; il faisait sa récolte de riz. Ses esclaves étaient autour de lui, enchaînés quatre à quatre. Un de ces malheureux fixa ses regards sur le capitaine et s’écria du ton le plus lamentable : « Hai bana wangi, bana wangi ! O mon seigneur, mon seigneur, ayez pitié de moi ! Quand j’étais dans mon pays, libre et heureux, je vous ai vu à Uvisa sur les bords du lac Tanganika. Depuis lors, les Watutu sont venus, et dans une bataille qu’ils nous ont livrée à Djiji, j’ai été couvert de blessures et fait prisonnier. Ils m’ont vendu aux Arabes, et me voici dans les chaînes. Hai bana wangi ! O mon seigneur, si vous vouliez me faire mettre en liberté, je vous servirais fidèlement le reste de mes jours. » Ce douloureux appel émut le capitaine, qui engagea Sirboko à lui céder cet homme. Il le prit à son service, lui donna le nom de Farhan (joie), et n’eut pas lieu de se repentir de sa bonne action, car l’esclave délivré fut au nombre des dix-huit compagnons qui le suivirent jusqu’au Caire.

Le 9 juin, le capitaine quitta le vaste pays de la Lune pour entrer dans l’Uzinza, dont les habitans ne diffèrent de leurs voisins que par une couche épaisse de beurre rance dont ils s’enduisent le corps. Ce pays est situé entre les 3° 30’ et 2° 50’ de latitude sud et sous les 30° de longitude est. Comment Speke en est-il sorti ? C’est ce qu’on se demande après avoir lu son récit. Hommes et choses, amis et ennemis s’opposent à son passage ; les difficultés se succèdent d’heure en heure, les dangers se multiplient. Ses plus fidèles wanguana tremblent et ne veulent plus avancer ; les plus honnêtes lui rapportent leur salaire et demandent leur congé ; les porteurs se sauvent, les interprètes le quittent. Dans l’impossibilité d’avancer, il empile ses effets, les fait entourer d’une forte palissade, ordonne à ses gens de les garder, et retourne à Kaseh pour engager un interprète et louer des porteurs. L’Arabe Musa, sur lequel il comptait, est mort, et son fils ne peut lui rendre aucun service. Il lui manque quelques articles d’échange ; mais on ne veut les lui vendre qu’à deux mille pour cent de bénéfice ; tout lui fait défaut, les événemens le trahissent. Il écrit de Kaseh au consul anglais de Zanzibar et le prié de lui envoyer, par cinquante hommes armés