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avaient vues, sur leur pays et leur souveraine, sur tout ce qu’ils avaient souffert dans leur long et périlleux voyage. Après une conversation des plus intéressantes, Rumanika leur fit entendre qu’ils pourraient dresser leur camp soit dans l’enceinte de son parc, soit ailleurs. Les wanguana ne se le firent pas dire deux fois. Il tardait à ces hommes de la côte de se créer des abris contre une température qui pour eux était d’une sévérité excessive. Ils étaient transis de froid, bien que le thermomètre centigrade marquât encore à l’ombre 20 degrés.

Speke et son ami restèrent deux mois chez le petit prince du Ka-ragué. Il n’entrait pas cependant dans leur plan de faire une halte aussi longue ; mais comme aucun étranger ne pouvait pénétrer dans l’Uganda sans une permission de Mtesa, le roi de ce mystérieux pays, Rumanika avait obligeamment offert de lui envoyer quelques-uns de ses officiers pour le prévenir de l’arrivée des deux blancs, les recommander à sa protection, et le prier de leur préparer une bonne réception. Les relations les plus amicales s’établirent entre le roi et ses hôtes. Ce fut un échange quotidien de bons offices. Ils faisaient ensemble des excursions en bateaux sur des lacs de peu d’étendue qui se trouvaient à l’ouest du Karagué et des parties de chasse au rhinocéros et à l’hippopotame. Rumanika leur envoyait aussi de temps en temps sa bande de musiciens pour les régaler d’une sérénade exécutée par un orchestre fort primitif, composé de tambours et d’instrumens à vent fabriqués avec des roseaux. Il aimait à leur adresser des questions qui tantôt dénotaient une certaine profondeur de jugement, tantôt une simplicité plus qu’enfantine. Bien que Rumanika eût quelque penchant à la libre pensée, cependant la croyance aux maléfices et à la puissance des charmes et des talismans était profondément enracinée dans son esprit. Le premier objet qu’il demanda au capitaine fut un charme qui eût la vertu de faire mourir son frère Rogero, qui lui contestait son droit au trône. S’apercevant bien vite que son hôte n’approuvait pas les motifs de sa demande, il ajouta que ce ne serait pas précisément pour lui arracher la vie, mais seulement les deux yeux, afin de lui ôter la possibilité de lui nuire. Il revint plusieurs fois à la charge pour avoir un remède qui pût prolonger sa vie et accroître sa postérité. Le capitaine, pour mettre un terme à ses obsessions, lui donna un vésicatoire. Rumanika se montra, d’ailleurs assez intelligent. Il comprit par exemple le but purement scientifique du voyage de ses hôtes, et n’épargna point les efforts pour les seconder dans leurs recherches. Il réunit toutes les personnes de sa maison qui avaient voyagé, et les invita à répondre aux questions que le capitaine se proposait de leur adresser. Il lui envoya des esclaves du nord et de l’est pour