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du point d’embarquement. Il employa ces six jours à des régates, à des jeux d’adresse sur la grève, où les Waganda se montraient d’une gaucherie excessive. On fit de fréquentes descentes dans les îles d’un aspect charmant qui ornent les splendides rivages de ce lac. Une de ces îles était habitée par le grand-prêtre de la divinité du Nyanza. Mtesa et le capitaine se rendirent dans sa hutte : elle était décorée de symboles mystiques, et le prêtre lui-même était couvert de talismans. Sa démarche était lente et compassée ; il ordonna aux officiers supérieurs de s’approcher et de faire cercle autour de lui et leur révéla à voix basse la volonté divine, puis il se retira. Il paraîtrait que cette révélation n’était pas favorable à la prolongation du séjour de la maison royale dans l’île, car immédiatement après l’avoir entendue on remonta en bateau et on s’éloigna.

Le capitaine avait obtenu que des officiers allassent chercher Grant. Il aurait bien désiré qu’ils fissent le voyage par eau pour que son ami eût l’occasion de longer les côtes nord-ouest du lac et d’en faire le tracé ; mais l’amiral s’y opposa sous prétexte que le roi du Karagué ne verrait pas d’un bon œil que l’on pénétrât par eau dans ses états. En réalité, l’opposition était le fait des magiciens, qui craignaient que ce mystérieux étranger ne jetât quelque maléfice sur le lac. Sur la demande du capitaine, le roi avait aussi envoyé un détachement muni des instructions nécessaires pour aller à la rencontre de Petherick ; mais ce détachement revint, comme on peut bien le penser, sans avoir atteint le but de sa mission, ayant été repoussé non loin des frontières de l’Uganda par une des tribus riveraines du fleuve qui avait levé l’étendard de la révolte.

Le 27 mai fut un jour heureux pour l’intrépide voyageur. Son ami Grant arriva, porté par quatre hommes sur une civière, car il n’était pas encore en état de marcher. À la vue du compagnon de ses travaux et de ses épreuves, Speke reprit un nouveau courage. Le capitaine n’avait plus aucune attache qui le retînt dans l’Uganda. Il devait, il voulait le quitter le plus tôt possible pour poursuivre son voyage vers l’est. Toutes ses incertitudes sur la direction qu’il devait prendre pour arriver au déversoir d’où le Nil tire son origine étaient dissipées. Si les nombreux renseignemens qu’il avait obtenus étaient exacts, il n’en était plus, à vol d’oiseau, qu’à une centaine de kilomètres. Mais comment obtenir le consentement de Mtesa ? Le roi barbare était tellement fait à la société du capitaine qu’il parlait de lui monter une maison considérable et d’en faire un grand de son royaume pour l’avoir toujours auprès de lui. Le capitaine Speke fit miroiter à ses yeux les richesses contenues dans deux vaisseaux que Petherick lui amenait, et avec lesquels il comptait remonter le fleuve et arriver par le lac jusqu’au pied de son palais. Il lui fit