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quinze jours au lieu du rendez-vous. Celui-ci lui apprit que sa marche rétrograde était le résultat d’une injonction qu’il avait reçue de Kararasi. Le roi, ayant été informé que les étrangers qu’il attendait arrivaient dans deux directions différentes, en avait conçu de la crainte, et par mesure de précaution avait envoyé à Grant l’ordre de sortir de ses états. Il avait aussi entendu dire de plusieurs côtés que ces étrangers étaient des anthropophages.

Cette nouvelle déconcerta les voyageurs. Que faire ? De quel côté se diriger ? Aller en avant, c’est la guerre avec tous ses périls ; rétrograder, c’est se dépouiller de tout prestige et s’exposer au mépris des naturels. Après mûres réflexions, ils se décidèrent à demander un corps de mille hommes à Mtesa pour regagner la côte du Zanguebar à travers les tribus guerrières du Masaï. Ils venaient de lui expédier un messager pour l’instruire de leur décision lorsqu’ils reçurent une députation de Kamrasi chargée de leur faire savoir que le roi désirait vivement les voir, qu’il avait eu en effet quelque crainte en apprenant qu’ils arrivaient en deux bandes et par des voies différentes, mais que ses craintes s’étaient dissipées. Ce message, qui s’accordait si bien avec leur désir, fut reçu avec joie. Le 23 août, ils entrèrent dans l’Unyoro, dont le territoire, beaucoup plus considérable que les autres contrées qu’ils avaient parcourues ; entoure l’Uganda à l’ouest et au nord. Le Nil en dessine les frontières à l’est, mais le Kidi, qui est au-delà, fait aussi partie des domaines de Kamrasi. La configuration à l’ouest en est indécise. Le capitaine Speke y place le lac Luta-Nzige, qui s’étend du nord-est au sud-ouest ; il donne à ce lac plus de 300 kilomètres de longueur sur une largeur moyenne de 80. Il touche par son extrémité sud à l’équateur et sans doute aux premières assises des montagnes de la Lune, tandis que le Nil en suivrait les bords septentrionaux. Le capitaine croit que ce vaste bassin sert de régulateur au fleuve, il en recevrait le trop-plein dans la saison des pluies pour le lui rendre dans la saison contraire. Du côté du Karagué, l’Unyoro atteint le premier degré de latitude sud pour se prolonger par une courbe à l’est jusqu’au 3° 30’ de latitude nord ; mais les frontières que les explorateurs anglais traversèrent étaient à 80 kilomètres en-deçà de l’équateur.

Ce pays offre un aspect bien différent de celui de l’Uganda. Les forêts, qui en couvrent une partie, ne présentent rien d’imposant ni de mystérieux, les arbres y sont petits, rabougris, malingres. Les villages sont clair-semés, les huttes basses, les habitans mal vêtus et malpropres. Les produits agricoles sont peu nombreux. À côté de la banane, que l’on cultive encore dans la partie méridionale du pays, on ne trouve que la patate douce, le sésame et le millet. Le gros bétail y est rare. L’Unyoro est peu accidenté. Le capitaine Grant n’y a rencontré aucun point de vue digne de son