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atteignirent les chutes de Karuma, situées sous le 2° 15’ de latitude nord et le 30° de longitude est. C’est une succession de rapides, dont le principal à 3 mètres de hauteur. Ils apprirent qu’il y en avait encore deux autres plus bas, qui partageaient en trois distances égales la section du fleuve qui se trouve entre la chute du Karuma et le lac Luta-Nzigé. Ils durent se contenter de ces renseignemens, obligés qu’ils étaient de quitter les bords du Nil pour suivre la route qui devait les conduire à la station des agens de leur compatriote. Ils marchèrent pendant six jours dans un pays inculte, couvert de marais, où ils ne virent ni un seul homme, ni une seule hutte, et traversèrent une pointe du territoire de Gani pour entrer dans celui de Madi, où les villages étaient entourés d’une forte clôture. Ils y furent reçus, à peu d’exceptions près, avec beaucoup d’égard et de respect. Les naturels étendaient devant les étrangers une peau de vache, y plaçaient un escabeau et deux pots de leur boisson, et les invitaient à se reposer et à se rafraîchir. Ils y ajoutaient quelquefois de l’eau chaude pour qu’ils se lavassent les mains ; c’est l’expression de la plus exquise politesse dans ces contrées.

Le 3 décembre, ils arrivèrent à Faloro, où Bombay avait trouvé les avant-postes du commerce européen. Ce village est situé sous le 3° 10’ de latitude nord et le 29° 22’ de longitude est. Pour avertir de leur arrivée ceux qu’il croyait être les agens d’un négociant anglais, le capitaine fit faire à ses wanguanas une décharge de leurs fusils. Quelle ne fut pas leur joie d’entendre quelques minutes après une détonation d’armes à feu qui répondaient évidemment à leur décharge ! Ils se dirigèrent de ce côté et virent venir à eux une compagnie de deux cents hommes, tambours et fifre en tête, et portant trois drapeaux. Ils firent halte à une courte distance, et un noir, portant un uniforme égyptien avec un sabre turc, s’avança et se jeta dans les bras du capitaine Speke. Celui-ci répondit à ces marques un peu vives d’affection par une bonne poignée de main et lui demanda de qui il était l’agent. « De Petherick, répondit-il. — Pourquoi ne portez-vous pas le pavillon anglais ? reprit le capitaine. — C’est celui de Debono. — Et qui est Debono ? — C’est le même que Petherick. » Bien que cette réponse ne parût pas fort claire au voyageur, il s’achemina néanmoins avec ce chef, suivi de sa compagnie, qui était composée de Nubiens, d’Égyptiens et d’esclaves de divers pays ; ils arrivèrent à leur campement, qui Savait toute l’apparence d’un village du Madi. Chacun de ces soldats avait sa hutte et vivait en famille.

Mohamed (c’était le nom de ce chef) pourvut aux besoins des deux voyageurs et de leur troupe avec une généreuse libéralité. Le lendemain, ces derniers voulurent se remettre en route ; mais Mohamed s’y opposa, alléguant qu’il n’avait pas encore fait sa provision