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et n’attendant que l’occasion de s’établir dans le pays. Tous ces hommes réclamaient des terres à cultiver. Ils voyaient aux alentours des villes des plaines belles et fertiles dont le sol vierge n’attendait que la main du laboureur pour produire de riches moissons. L’enchérissement général des denrées de consommation journalière promettait de gros profits aux agriculteurs. C’est à ce moment qu’un chou se payait 3 francs à Melbourne et le double au moins dans les districts aurifères. Par malheur, il n’y avait pas de terres vacantes auprès des centres de population. Tout était occupé par des hommes qui en tiraient bien peu de profit, puisqu’ils se contentaient de faire brouter par leurs moutons les herbes qui poussent naturellement sur le sol. Si par hasard quelques lots de terrains d’une médiocre étendue étaient mis en vente, une spéculation effrénée en faisait monter le prix à un taux excessif. Qu’arriva-t-il ? Parmi les nouveaux enrichis, les uns quittèrent l’Australie, emportant leurs épargnes, qui eussent profité au pays, et se dirigèrent vers l’Amérique pour y acheter les terres qu’ils convoitaient. D’autres, en trop grand nombre, consommèrent leur fortune dans la débauche et se livrèrent à tous les désordres que l’on peut imaginer.

Pour comprendre comment il ne s’établissait pas une sorte de compensation entre les offres de ceux qui voulaient des terres et les exigences de ceux qui en étaient détenteurs, il faut se rappeler que les concessionnaires n’avaient qu’un droit de jouissance à la pâture, et que si les terrains qu’ils occupaient avaient été vendus, ils n’eussent pas profité du prix de vente, qui entrait directement dans les caisses du trésor colonial. Les squatters n’avaient aucun intérêt à s’opposer au développement de l’agriculture ; mais aucun d’eux en particulier ne voulait y sacrifier sa fortune présente. Il semble au premier" abord qu’il eût été facile de dédommager les concessionnaires expropriés au moyen des ressources immenses que l’aliénation des terres devait produire. Le gouvernement local, ne se croyant, pas sans doute le pouvoir de le faire, demanda des instructions en Angleterre, où l’on n’était guère à même d’apprécier la gravité de la situation. Cet état de choses se prolongea donc longtemps au détriment de la colonie et faillit même dégénérer en lutte ouverte. De nombreux meetings, où se rendaient les hommes les plus turbulens, discutaient la légalité des orders in council, et voulaient exercer une pression sur les parlemens locaux, qui élaboraient à chaque session l’interminable question des terres. Le 28 août 1860, la populace envahit le palais du corps législatif de Melbourne, qui était alors en séance. Ces excès amenèrent une réaction salutaire. La ville étant dégarnie de troupes, les citoyens paisibles, constitués en milice, firent reculer la foule ameutée et rétablirent l’ordre.