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Nous sommes donc dans d’excellentes conditions pour combattre. Une frégate de plus ou de moins n’importe pas beaucoup à la France, mais ceux qui ont la bonne fortune de tirer les premiers coups d& canon se doivent de donner l’exemple aux autres. Voilà trois ans, que je m’occupe de votre instruction, montrez aujourd’hui que je n’ai pas travaillé en vain. »

Ces simples paroles prononcées sans emphase produisirent un excellent effet. Il faut bien se garder de provoquer un trop bruyant, enthousiasme chez des gens qui, dans quelques minutes, vont avoir besoin de tout leur sang-froid. L’élan nous est à peu près inutile, à nous autres marins, puisque nous ne pouvons presque jamais joindre l’ennemi corps à corps. Ce qu’il nous faut, c’est du calme, de la ténacité, beaucoup d’ordre et de présence d’esprit. Des cris, on en obtient toujours assez. Ce fut donc en silence que les canonniers de la Résolue coururent à leurs pièces, ajustèrent leurs hausses, étendirent leurs palans sur le pont et se tinrent prêts. L’escadre anglaise, — car c’était bien l’escadre de l’amiral Malcolm, — avait suivi la frégate dans le canal des Sapiences. Un officier du vaisseau le Britannia vint à bord de la Résolue. À la vue de cet appareil guerrier, il ne put s’empêcher de manifester un peu d’étonnement. Une énorme quantité de boulets avait été montée de la cale dans la batterie et sur le pont, les filets de casse-tête étaient en place, les embossures frappées sur les ancres, les boute-feu allumés fumaient dans les bailles. L’officier apportait la nouvelle des dispositions favorables de l’Angleterre. L’amiral Malcolm voulait en donner lui-même l’assurance au capitaine de la Résolue. Celui-ci s’empressa de se rendre à bord du Britannia. « Comment, Lalande, lui dit l’amiral Malcolm, vous avez pu croire que j’allais vous attaquer ainsi sans déclaration de guerre, que moi, un libéral, je serais le premier à tirer le canon contre une cause qui a toutes mes sympathies ? — Je ne l’ai pas cru un instant, répondit le capitaine Lalande ; je n’ai voulu qu’éprouver mes hommes, et je vous avoue que leur contenance m’a fait plaisir. C’est le meilleur exercice que nous ayons fait de la campagne. »

Tel était l’homme auprès duquel me conduisait mon heureuse étoile. À dater de cette époque, je ne l’ai plus quitté. Il voulait faire pour moi ce que mon père avait fait autrefois pour lui. Et quel trésor que son affection ! Quelle grâce séduisante s’alliait à ce mâle courage ! Je ne sais si l’on pourrait rencontrer des hommes plus spirituels que l’amiral Lalande ; on n’en trouverait pas à coup sûr de plus attachans. Son esprit venait surtout de son immense désir de plaire, non pas aux grands, — car il était légèrement frondeur, — mais aux petits, aux faibles. Il se mettait en frais pour le moindre