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compris entre l’île de Cos et les côtes de l’Anatolie. Le vaisseau n’était pas encore prêt, et nous dûmes poursuivre notre route sans l’attendre, car les Égyptiens nous talonnaient. Leur mission paraissait être, non pas de détruire la flotte turque, mais de la chasser dans les Dardanelles. On ne les voyait jamais ; on en avait sans cesse des nouvelles par les éclaireurs.

L’escadre ottomane s’approchait lentement de son but, s’arrêtant souvent pendant la nuit et n’osant s’avancer que jusqu’au point qui avait été reconnu de jour par ses éclaireurs. Les alertes étaient fréquentes ; en somme, les précautions pour éviter une surprise semblaient assez bien entendues. Nous avions dépassé les îles de Calimnos et de Leros, renommées pour leurs hardis plongeurs ; Pathmos était derrière nous ; les sommets de Nicarie et de Samos venaient d’apparaître : une brise de sud-est s’éleva tout à coup. Ce vent favorable simplifiait bien la tâche du capitan-pacha : les vaisseaux turcs se couvrirent de voiles et se précipitèrent à l’envi vers les Dardanelles. Il y eut dans le premier moment quelques abordages. Dans quelle flotte n’y en a-t-il pas ? Des corvettes se trouvèrent soudainement métamorphosées en bricks ; elles n’en coururent pas moins vite. Tout allait à souhait, quand le vent nous abandonna en face de Ténédos ; il fallut laisser tomber l’ancre non loin du promontoire de Sigée, à la hauteur des ruines de Troie.

Les Turcs restèrent près d’un mois à l’entrée des Dardanelles. C’était la terre promise, et ils avaient grande envie d’y arriver ; mais le courant les repoussait impitoyablement. À la moindre brise, ils se hâtaient d’établir leurs voiles et de lever l’ancre ; ils gagnaient à ce jeu quelques encablures à peine. L’ombre des Égyptiens était toujours là, — leur ombre seulement, — les vaisseaux restaient au large. Un matin nous fûmes fort étonnés de ne plus trouver la flotte ottomane au mouillage ; elle avait glissé sans bruit, et nos timoniers n’en avaient rien vu. Prévenue de l’approche de la flotte ennemie, elle avait eu cette fois la prudence de ne pas l’attendre, et était allée se former en ligne de l’autre côté de Ténédos. Nos vigies la découvrirent, et nous fûmes la rejoindre, nous promettant bien de la mieux surveiller à l’avenir. Enfin le vent du sud se rendit aux vœux des Osmanlis : nous vîmes le capitan-pacha donner à pleines voiles dans l’Hellespont, et nous fîmes route dans un sens opposé, vers Andros.

La traversée de l’Actéon fut rapide. Nous mouillâmes devant Nauplie de Romanie, où le roi Othon tenait déjà sa cour. L’Hellade était dans l’ivresse. Les îles de l’Archipel comme la Morée retentissaient du cri de zitô Othon o vasilevs tis Hellados ! « vive Othon le roi de l’Hellénie ! » Six mille Bavarois surveillaient cet enthousiasme ; les partis avaient désarmé, et tout annonçait un règne