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des cercles entr’ouverts ; le cent était figuré par un signe qui rappelle une feuille de palmier enroulé ; mille était une fleur de lotus, dix mille un doigt recourbé. Il n’y avait point de signe particulier pour exprimer les unités décimales supérieures à dix mille : on ne pouvait les représenter qu’à l’aide d’un signe secondaire, d’un coefficient exprimant une multiplication. Cent mille était regardé comme dix mille multiplié par dix, etc. C’est bien encore par un procédé mental semblable que l’imagination se représente d’ordinaire les unités décimales d’ordre un peu élevé. Ce n’est guère que dans les budgets des grands empires que les millions apparaissent aujourd’hui comme des unités : pour le vulgaire, le million reste toujours mille fois mille ; Le nombre rencontre en quelque sorte des limites naturelles dans les esprits peu familiers avec les abstractions mathématiques ; il a rencontré les mêmes limites dans toutes les numérations primitives : au-delà de certaines grandeurs, les nombres se confondent, s’évanouissent dans une obscurité où les différences et les degrés deviennent insensibles.

L’arithmétique des prêtres égyptiens était beaucoup moins avancée que leur géométrie. Ils savaient, il est vrai, faire quelques calculs : le dieu Teuth avait inventé le nombre en même temps que l’astronomie, que le jeu de dés ; mais la science du nombre était restée dans l’enfance, et ce n’est point dans les temples égyptiens que Pythagore put apprendre cette arithmétique presque transcendante qui devint comme l’âme de toute sa philosophie. Pendant le long règne d’Amasis, Pythagore resta en Égypte, et il y fut élevé aux plus grands honneurs sacerdotaux. Amasis mourut en 527, et à peine son fils Psamménit fut-il monté sur le trône que Cambyse se jeta sur l’Égypte ; ses armées la dévastèrent, et la colère des vainqueurs s’épuisa principalement sur la caste des prêtres, qui représentait ce qu’il y avait de plus élevé et de plus national en Égypte. Avec un très grand nombre de prêtres, Pythagore fut emmené prisonnier à Babylone ; mais tout peut tourner au profit du génie, même le malheur : la captivité fournit à Pythagore l’occasion d’étudier une civilisation à peu près inconnue de la Grèce et de se familiariser avec des idées que le génie égyptien et le génie grec n’avaient jamais connues. Il put achever sur les bords de l’Euphrate l’œuvre commencée dans la vallée du Nil, et préparer le mariage fécond de la science des formes et de la science des nombres. La fortune, d’un coup de baguette, transportait le curieux voyageur sur un théâtre tout nouveau. Babylone était alors dans toute sa splendeur ; c’était le centre d’un immense commerce où se rencontraient les marchands nomades de la Bactriane, de l’Inde et de la Chine elle-même. Les caravanes y apportaient les productions de