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en quelque sorte géométrique. Polybe, qui vécut entre les années 203 et 121 avant Jésus-Christ, compare les courtisans aux marques de l’abax, qui, suivant leur place, valent tantôt un marc et tantôt un talent, ce qui prouve que la table pythagoricienne ou l’abaque proprement dit ne se substitua pas entièrement à l’ancienne table à calcul. Cela tient peut-être à ce que cette dernière servait aussi pour les jeux. Elle a certainement donné l’idée des premiers échiquiers, et en Angleterre aujourd’hui encore le ministre des finances du royaume n’a-t-il pas conservé le titre de chancelier de l’échiquier ? Le souanpan servit aussi à d’autres usages que le calcul : on a cru trouver par exemple un lien naturel entre les fils de cet instrument chargé de ses boules mobiles et le rosaire, que les croisés apportèrent d’Asie pendant le moyen âge.

Les peuples asiatiques n’étaient pas seulement très habiles à exécuter les calculs sur ces instrumens où les divers élémens des opérations arithmétiques sont en quelque sorte représentés d’une manière sensible : leurs savans avaient érigé l’arithmétique à l’état de science véritable. Chez les Grecs, on l’a vu, cette science était restée toute figurative ; les quantités étaient dessinées ou représentées matériellement, au lieu d’être symbolisées ; le génie plastique de la race hellénique répugnait aux abstractions trop sévères. Les Égyptiens représentaient des tendances semblables ; mais l’Asie dégagea de bonne heure le nombre de son enveloppe grossière et l’aperçut dans sa pureté. Elle devina cette science étrange qu’on appelle la théorie des nombres, science sans méthode fixe, qui exige de l’esprit une sorte de divination intuitive et une puissance d’abstraction extraordinaire. C’est dans la vallée de l’Euphrate que Pythagore apprit à jouer avec les séries et les combinaisons des nombres, et prit l’habitude d’en chercher les lois mystiques et imprévues. Avant lui, il n’est nulle part question de l’arithmétique comme science : le calcul demeure chose banale, bonne seulement pour les marchands ; après lui, la science des nombres envahit la musique et jusqu’à la métaphysique. L’Inde, la Chine, ont-elles été pour quelque chose dans le développement de l’arithmétique primitive ? M. Cantor incline plutôt à croire que son berceau a été dans la Babylonie, et que ses découvertes ont été apportées au-delà de l’Hymalaya et dans l’empire du milieu, comme elles l’ont été par Pythagore dans le monde hellénique.

Dans l’arithmétique si avancée de l’école pythagoricienne, il sera sans doute toujours impossible de préciser avec netteté quelle est la part personnelle du maître, et quelle est celle des écoles assyriennes. On n’exagère rien en déclarant que cette dernière arithmétique était déjà très raffinée, et, si l’on me permet le mot, très