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remontrances ou autres choses ici fassent impression. Le désespoir est général, et ils aimeront mieux être la victime des Russes, s’ils ne peuvent l’éviter, que celle des Polonais, se flattant toujours qu’un événement qui change le sort des royaumes et des empires pourra aussi changer le leur un jour. Dixi et liberavi animam meam. »


Tandis que Maurice de Saxe dégageait ainsi sa conscience, il y avait au fond d’une abbaye une malheureuse femme qui suivait avec anxiété les péripéties des affaires de Courlande. Quelle joie maternelle avait ressentie la chanoinesse de Quedlinbourg en apprenant les premiers succès de son fils ! Maurice, au milieu de ses aventures, écrivait souvent à sa mère. On, a publié quelques-unes de ses lettres il y a une trentaine d’années, lettres charmantes, exquises, pleines de tendresse et d’enthousiasme[1]. Nous n’avons pas malheureusement les réponses d’Aurore de Koenigsmark ; mais comme on les devine bien par les billets de Maurice ! comme elle prend sa part de tout ce qui lui arrive ! Elle a vendu ses bijoux pour lui procurer des ressources ; elle lui envoie ses vœux, ses encouragemens, ses conseils, toute son âme. Maurice aura donc enfin dans le monde la place qu’elle lui souhaitait depuis tant d’années ! Le voilà-duc ! le voilà souverain ! Les Koenigsmark revivent en lui avec leur héroïsme guerrier, mais plus grands, plus heureux, une couronne sur le front ! Non, tout cela n’était qu’un rêve ; le souverain d’hier est redevenu l’aventurier d’autrefois ; il est proscrit, sa tête est désignée aux sicaires, et s’il tombe aux mains des Polonais, « on ne lui fera pas plus de quartier qu’à un loup. » Que fait la pauvre mère ? quels conseils donne-t-elle à Maurice eu des conjonctures si graves ? Elle hésite sans doute entre les inspirations de l’héroïsme et celles de la prudence, puisque Maurice lui écrit le 18 novembre : « Laissez-moi la main libre, madame : vous verrez revivre sous vos yeux le vieux Koenigsmark, celui qui tenait en échec les armées de l’Allemagne[2] ! » Quatre jours après (22 novembre), il lui annonce qu’il vient de demander des secours à M. de Loewenhaupt, son cousin, officier au service du roi de Suède. « Il y en a des milliers là-bas qui meurent de faim. » Et lui-même, le comte de Loewenhaupt, pourquoi ne viendrait-il pas chercher fortune en Courlande ? Maurice lui a proposé d’accourir au plus

  1. Deukwürdigkeiten fer Gräfin Maria-Aurora Koenigsmark und der Koenigsmark’schen Familie. Nach bisher unbekannten Quellen von Dr Friedrich Cramer, 2 vol., Leipzig 1836. voyez tome II, p. 112-123.
  2. Allusion à Jean-Christophe de Koenigsmark, un des héros de la guerre de trente ans, le compagnon et le continuateur de Gustave-Adolphe. C’était surtout un preneur de villes. Il emporta d’assaut la citadelle de Prague, où cent ans plus tard son petit-fils, Maurice de Saxe, devait aussi entrer par la brèche. L’image de ce vieux soldat était souvent présente à la pensée de Maurice.