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Bonaparte devait faire davantage pour le catholicisme. Dans le calme réparateur qui signala aussitôt son gouvernement, les prêtres insermentés retrouvèrent leur sécurité, et les troupeaux purent se réunir à la voix de leurs pasteurs. Les admirateurs officiels du concordat ont eu soin de ne pas insister sur l’époque de transition qui l’a précédé, et pendant laquelle les fidèles jouirent avec une profonde joie de leurs droits les plus précieux. Nous avons connu plus d’une de ces âmes vraiment pieuses qui regrettaient cette époque comme celle de la vraie renaissance chrétienne. Désabusées des vaines pompes qui simulent ou fardent la religion, de tout cet appareil qui sert souvent à cacher sa dépendance, elles se croyaient moins éloignées du règne de l’Évangile au temps où elles n’attendaient le signal ni l’exemple d’aucun pouvoir pour se réunir autour d’un pasteur de leur choix, au pied d’un autel relevé par la foi et non par la politique.

M. de Lafayette disait un jour au premier consul qu’il ne faisait le concordat qu’en vue de la sainte ampoule, et M. de Pressensé n’est pas loin d’en penser autant. Il prouve du moins sans peine que la politique seule a présidé au rétablissement des rapports avec le saint-siège et d’un épiscopat qui tînt ses pouvoirs de Rome. On chercha peu dans le temps à le dissimuler, et cet aveu d’une politique qui veut de la religion sans y croire aurait dû profondément dégoûter du concordat les chrétiens sincères ; mais ces délicatesses furent peu senties. Pour bien des âmes, l’intérêt de la religion par le plus haut que sa dignité, et l’utilité sociale prend une telle place dans les esprits à la suite des révolutions qu’il vaut mieux alors pour une religion la prouver utile que vraie.

Le premier consul était de cet avis, et ne doutait pas qu’il n’y amenât tout le monde. « Les gens éclairés sont indifférens, » disait-il, et l’on doit présumer qu’il se mettait du nombre des gens éclairés. On était alors, en matière de religion, de l’opinion de Zaïre :

J’eusse été près du Gange esclave des faux dieux, etc.


J’ai été mahométan en Égypte, disait le général Bonaparte en supprimant le conditionnel. Les habiles complétaient la citation de Zaïre par des citations de Mahomet. C’était toujours penser comme Voltaire, et l’on conseillait d’employer à propos le glaive et l’Alcoran. Napoléon tenait singulièrement à ce qu’on ne s’y trompât point, et qu’on sût bien qu’il n’était qu’habile. « On dira que je suis papiste, disait-il à Thibaudeau ; je ne suis rien. Je ne crois pas aux religions ; mais l’idée d’un Dieu… » Et, levant la main au ciel : « Qu’est-ce qui a fait ceci ? » Et dans la même conversation il avait soin d’ajouter : « C’est une affaire purement politique. »