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entre M. de Bismark et le vice-président de la chambre, l’honorable M. Behrend, et que ce dernier n’a point démenti, à notre connaissance du moins. Hautain et persifleur envers les corps constitués, le chef du cabinet de Berlin ne dédaigne pas en effet de s’épancher parfois devant tel député dans une conversation familière, de l’éblouir et peut-être aussi de reconduire par le déploiement brillant des aperçus d’une politique extraordinaire (géniale, comme disent nos voisins de l’autre côté du Rhin) et féconde en expédiens. Et c’est ainsi que M. de Bismark aurait entretenu M. Behrend, dans un bal de la cour, vers le milieu de février 1863, de l’opposition « inintelligente » que lui faisait la chambre dans la question polonaise. « Cette question peut être résolue, disait-il, de deux manières : ou il faut étouffer promptement l’insurrection de concert avec la Russie et arriver devant les puissances occidentales avec un fait accompli, ou bien on pourrait laisser la situation se développer et s’aggraver, attendre que les Russes fussent chassés du royaume ou réduits à invoquer un secours, et alors procéder hardiment et occuper le royaume pour le compte de la Prusse ; au bout de trois ans, tout là-bas serait germanisé… » — « Mais c’est un propos de bal qu’on veut bien me tenir ? se serait écrié à ce moment le vice-président stupéfait. » — « Non, aurait été la réponse ; je parle sérieusement de choses sérieuses. Les Russes sont las du royaume, l’empereur Alexandre me l’a dit lui-même à Saint-Pétersbourg. Du reste on pourrait aussi contenter les Polonais, n’établir par exemple qu’une union personnelle ; les députés de Posen n’iraient plus siéger à Berlin, mais à Varsovie… » Là se seraient arrêtées ces confidences surprenantes, et malgré tout ce qu’elles semblent avoir de fantastique, on aurait tort de n’en vouloir tenir aucun compte. Il ne faut pas oublier en effet que la Prusse a, elle aussi, ses souvenirs et ses regrets, que le pays actuellement nommé royaume de 1815 avait formé primitivement une part du butin des Hohenzollern dans le démembrement de la Pologne et n’en avait été détaché qu’à la suite des guerres de l’empire. Enfin il est bon de rappeler que plus d’un grand patriote de la grande Allemagne avait déjà fait entendre l’axiome géographique et providentiel qu’il fallait germaniser jusqu’à la Vistule (bis an die Weichsel wird germanisirt) !… Les bruits d’une occupation éventuelle du royaume par les Prussiens ont surgi à diverses reprises pendant cette année agitée de 1863, et nous savons pertinemment que, dans les premiers mois de 1864 encore, diverses tentatives furent faites par les agens de M. de Bismark pour amener les Polonais à s’adresser à Berlin afin d’obtenir « des conditions avantageuses. » toutefois les ingénieuses combinaisons développées devant les yeux étonnés de M. Behrend pendant