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ouvre la marche, et depuis lui chaque siècle n’est occupé qu’à préparer dans l’ordre des idées de nouvelles conceptions et dans l’ordre pratique de nouvelles institutions. Depuis ce temps-là, la société n’a plus retrouvé son guide dans l’église, ni l’église son image dans la société.

Quand on porte, pour s’en occuper, le regard sur une grande époque, il faut se demander à quoi l’on va s’intéresser et quel parti l’on prendra dans la chute de ceci ou le progrès de cela. La réponse est donnée par la philosophie de l’histoire : prendre parti pour ce qui doit favoriser le développement humain. L’historien qui place dans certaines croyances et certaines institutions du passé le type duquel on ne peut s’écarter sans déchoir et dégénérer n’a que des déplorations pour tout ce qui, survenant, modifie, altère, renverse le type sacré. De son côté, l’historien qui n’a pour apprécier les choses qu’un rationalisme plus ou moins métaphysique et révolutionnaire ne peut s’abstenir de verser haine et mépris sur ces époques qui ne satisfont point à des conceptions non contrôlées par le fait et l’expérience. Cela seul, — je veux dire ce chagrin qu’ici cause le caractère de l’avenir et cette haine que cause le caractère du passé, — suffit pour établir essentiellement le fondement même de la philosophie de l’histoire, philosophie qui ne peut consister qu’à comprendre que ce caractère de l’avenir et celui du passé n’ont rien de différent ni de contradictoire, qu’une même force produit un enchaînement d’évolutions, et que celui-là seul qui sait la retrouver partout est arrivé à la conception philosophique. Sans doute l’homme qui ne se contente pas de penser et qui sent en même temps voudrait bien des fois que cette histoire fût différente ; mais en combien d’autres domaines, parmi ceux où se déploie la nature ouverte à nos regards et à nos investigations, ce même souhait ne se fait-il pas entendre ! Une fatalité (j’entends par fatalité la condition des choses) s’impose à nous partout, et en s’imposant suscite en même temps ce sentiment de peine pour un ordre imparfait, cette douleur des maux que font les choses, et cet effort héroïque et séculaire pour les modifier : sentiment, douleur, effort qui sont l’apanage de l’humanité prenant conscience d’elle-même !

M. Le Clerc dit : « Le moyen âge avait été l’œuvre et le domaine de l’église. Au moment où il va finir, un nouvel ordre social ne pouvait se former qu’à travers les incertitudes, les déchiremens, les malheurs publics et privés qui accompagnent les révolutions. » C’est dans cet esprit qu’il faut considérer le XIVe siècle : il est l’ouverture à une phase nouvelle et plus avancée de la civilisation. Quant aux malheurs publics et privés qui accompagnent les révolutions, il importe de s’entendre là-dessus : je ne les nie ni ne les aime, ni ne les revêts de noms flatteurs ; mais il serait injuste, historiquement, de