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II

Si l’île d’Elbe mérite surtout d’être visitée, ce n’est pas seulement pour les souvenirs historiques qu’elle rappelle, pour la beauté des paysages qu’on y rencontre, c’est encore pour l’intérêt spécial qu’elle présente aux géologues. Ses granits de première et de seconde époque, dont nous avons déjà indiqué l’aspect caractéristique, sont venus un moment bouleverser les idées de la science moderne, qui a dû faire un pas en-avant ; les géologues, passant la mer, sont accourus en foule étudier sur place dans cette petite île les formations de la nature. Les grenats, les aigues-marines, les tourmalines, ont fait à l’île d’Elbe une réputation non moins bien établie auprès des minéralogistes, et elle n’aurait pas besoin de ses mines de fer pour attirer les savans. De ses granits décomposés, on extrait le kaolin ou terre à porcelaine, qui forme un élément d’exportation et qu’on dirige à Doccia, près Florence, sur la célèbre fabrique du marquis Ginori. Dans ses terrains de sédiment, le marbre statuaire se rencontre comme à Carrare ; entre Rio et Porto-Longone, j’ai vu tout récemment de magnifiques blocs qu’on avait fait rouler vers la plage. On devait les charger pour Rome, où ils étaient destinés à la basilique de Saint-Paul. On exploite aussi à l’île d’Elbe ce marbre blanc, veiné de vert, connu des artistes sous le nom de marbre cipolin. Il a été ainsi désigné parce que les veines tracent dans la pierre, surtout quand elle est tournée en fûts de colonnes, des lignes concentriques pareilles à celles d’un oignon coupé, cipolla. Les Romains, qui ne laissaient inexploitée aucune de leurs nombreuses conquêtes, ont les premiers su tirer parti des marbres de l’île d’Elbe. Ils ont également ouvert des carrières dans le beau granit du pays, notamment à Campo, qui fournit les plus remarquables échantillons. D’immenses blocs ont été extraits, comme aussi à l’île voisine de Giglio. À la beauté de la matière se joignait la proximité de la mer et du Tibre. Ces monolithes ornent sans doute encore, à l’état de colonnes, d’obélisques, de pyramides, et peut-être sous la fausse dénomination de granit égyptien, les monumens de la ville éternelle.

Ce granit, que l’on n’a pas cessé d’exploiter, et que l’on débite non-seulement en colonnes, mais encore en dalles, en voussoirs, est le granit micacé, en tout analogue au granit ancien du continent européen : c’est le granit de première formation de l’île d’Elbe. Le granit tourmalinifère ou de seconde formation, ainsi nommé parce que l’éruption en a eu lieu longtemps après celle du précédent, qu’il a même traversé, a seul accompagné dans l’île l’apparition des