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dans cet enseignement? A peu près aucun. Il y a quinze ans, il n’existait dans les lycées aucune chaire spéciale de géographie; à coup sûr, elle n’aura pas été créée depuis. Le monde tel que le connaissaient les anciens et avec lequel on vit dans les collèges est chose fort intéressante sans doute; mais le monde moderne que nous habitons nous touche davantage, et il serait bon de le connaître enfin sérieusement. Quelle description pourrait être plus animée, plus pittoresque que celle de notre globe? Quel vaste sujet d’étude que celui des relations commerciales ouvertes aujourd’hui par le monde entier de peuple à peuple? L’échange de productions variées répandant partout le bien-être, la colonisation, l’émigration, la fusion pacifique des races par le travail et par la mise en valeur des sols encore vierges, tous ces sujets parmi tant d’autres ne sont-ils pas de nature à tenter la plume de l’écrivain, à provoquer les méditations du philosophe? La géographie n’est une science aride que pour ceux qui n’en voient que le squelette, la sèche nomenclature des lieux; c’est une science vivante, animée, pour ceux qui savent la comprendre. Et quand on l’étudié par son côté purement physique, laissant à part le côté politique, commercial, économique, qui a bien aussi sa grandeur, croit-on que l’étude des cours d’eau, des chaînes de montagnes et des phénomènes variés qu’elles présentent, l’examen des volcans, des tremblemens de terre, ne prêtent pas aux plus intéressantes descriptions? Comme ses sœurs aînées, l’astronomie, la physique, la géologie, la géographie offre tout ce qui peut piquer la curiosité même des plus ignorans; elle présente en outre une matière inépuisable aux plus hautes spéculations de l’esprit.

Poussé sans doute par de telles considérations, un vulgarisateur scientifique de notre temps a publié sous un titre pittoresque un traité de géographie physique[1]. Connu du public depuis plus de dix ans, lu avec ardeur de ceux qui cherchent à s’instruire, toujours accueilli avec une bienveillance marquée par la critique, l’auteur a vu son nouveau livre couronné de ce même succès qui avait déjà favorisé toutes ses précédentes publications. Pour nous, nous avons relevé plus d’une grave erreur dans ce dernier ouvrage de M. Figuier, et comme c’est une œuvre essentiellement scientifique, comme l’auteur (il nous le dit lui-même dans sa préface), s’y donne la mission d’enseigner la géographie à la jeunesse, il nous a paru que les erreurs étaient ici doublement regrettables, et que le devoir de la critique était de les redresser.

Dès les premières pages de son livre, M. Figuier nous affirme que « les Chinois ne connaissent que leur propre territoire, et que celui qui aujourd’hui même se hasarderait à déclarer publiquement en Chine qu’il existe des terres en dehors du Céleste-Empire ferait peu de cas de sa vie... » M. Figuier ne sait donc rien de cet essaim de Chinois travailleurs qui depuis plus de vingt ans et par centaines de mille à la fois colonisent les îles de la Sonde, la Californie, l’Australie? Dans les États-Unis, la jalousie de l’Américain contre la race jaune est même venue arrêter l’essor des Chinois. Nous les avons rencontrés dans tous nos voyages, partout, jus-

  1. La Terre et les Mers, ou Description physique du globe, par Louis Figuier, 2e édition, Paris, Hachette, 1864.