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Pour la première, tous les contradicteurs sont des ennemis mortels. Qu’avec les idées libérales reparaissent les hommes libéraux, c’est le signe d’une machination des anciens partis. Toute élection un peu notable dans le sens de l’opposition, se réduisît-elle à une tentative, est un scandale et une offense. Plus encore peut-être que les habitudes de police, les habitudes de conspiration sont un détestable guide en politique : les unes comme les autres portent à tout interpréter par un complot. Avec cette manière de comprendre, on ne varie guère sur la conduite à tenir : toujours comprimer, se défendre à outrance, sauver l’état à tout bout de champ, et confondre à chaque instant des ennemis sans cesse renaissans par le déploiement énergique de l’autorité. Quel prince ne les a connus, ces alarmistes téméraires qui ne comprennent et ne prêchent que la force, et pour qui la force unique est la violence? N’attendons pas de ceux-là une saine appréciation des événemens. Il faut un esprit plus large et plus libre pour gouverner une transition difficile ; les faits ne se laissent point manier par ceux qu’ils mettent en colère. Un dévouement irrité est le pire des conseillers; un flatteur de sang-froid vaudrait encore mieux.

Mais si les prophètes de coups d’état ne manquent pas, leurs prédictions nous trouvent peu crédules, et ce n’est pas là ce que nous redoutons. D’autres opinions, plus répandues dans le monde officiel, auraient, selon nous, plus de chances de se faire écouter. Chez quelques-uns, l’aspect nouveau des affaires n’a provoqué et développé qu’un seul sentiment, la peur. C’est triste à dire, mais nul sentiment n’a plus que celui-là contribué à nos fautes depuis 1848. Je parle de cette peur raisonnée, l’opposé du courage d’esprit, et qui peut atteindre ceux même qui ne trembleraient pas à la vue du danger. C’est cette crainte des gens honnêtes, qui, compliquée de ressentiment et de lassitude, enfante toutes les réactions et leurs imprévoyantes complaisances. Autour du pouvoir, comme loin de lui, elle n’a que trop égaré l’instinct conservateur et perverti les idées d’ordre et d’autorité. Pour ceux qu’elle domine, tout symptôme d’une renaissance d’esprit libéral annonce la victoire de l’esprit révolutionnaire; chaque battement du cœur de la nation évoque devant eux un spectre redouté. Pour ajourner le danger d’une lutte nouvelle avec l’anarchie, ils aimeraient mieux le rendre plus probable et plus grave en refusant à l’opinion les satisfactions qui l’apaisent. Tout ce qui leur rappelle que la démocratie française ne peut être éternellement tenue dans une tutelle silencieuse leur est insupportable. Ils savent bien que l’avenir ne pourra toujours reproduire le présent; mais ils voudraient n’y point penser : c’est pour eux créer les périls que de les signaler. Et ce n’est pas dans le monde des courtisans et des fonctionnaires seulement que se