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matière. Consultée sur ce point, l’âme répond qu’elle se voit d’autant mieux qu’elle se sert moins de ses cinq sens, qu’elle ne découvre en elle-même rien qui ressemble à une des propriétés de la matière, qu’elle se sent la même hier qu’avant-hier, qu’à tous les temps de sa vie, qu’enfin elle est tellement une qu’elle constate continuellement sa propre unité substantielle au milieu de la variété infinie de ses sentimens et de ses actes. Voilà le fait, voilà l’évidence reconnue par le langage spontané du premier venu aussi bien que par les écrits de toute une suite d’hommes de grande intelligence qui se nomment Platon, Plotin, saint Augustin, Descartes, Maine de Biran, M. Cousin, M. Jouffroy. Cette évidence, il faudrait d’abord la détruire; il faudrait convaincre l’âme qu’elle s’abuse quand elle y croit. L’en a-ton convaincue? Jamais. Loin de là; voici que l’on fait au spiritualisme une concession dont il s’empressera de prendre acte. « La conscience, dit-on, qui est un sentiment, n’est pas affaire de vue ou de toucher, mais de perception interne, et dès lors il n’est pas étonnant que la conscience ait conscience de soi, comme de quelque chose qui diffère du corps. » Que signifient ces mots : une conscience qui a conscience de soi? Jamais nous ne comprendrons que la conscience existe en l’air, à titre d’entité scolastique. Notre adversaire sait trop ce qu’il dit, au surplus, pour avoir voulu donner à entendre qu’une pure abstraction soit douée de conscience, de sentiment, de vie en un mot. M. Scherer croit donc que la conscience, c’est un être vivant, qui se sent lui-même; mais si cet être, vivant et réel se sent différent du corps et l’affirme, cet être est nécessairement autre chose que le corps. Eh bien ! chose étrange, on tire de là une conclusion que rien n’a fait attendre et qui a lieu d’étonner. Cette conclusion, c’est que, si la conscience se sent différente du corps, il ne s’ensuit rien et qu’il reste à savoir si cette perception interne n’est pas, ne peut pas être une propriété du corps! Encore un coup, ou ces expressions de perception interne et de conscience n’ont aucun sens, ou elles expriment une faculté d’un certain être, et dans ce dernier cas la conclusion précédente se ramène aux termes singuliers que voici : l’être qui a conscience se sent différent du corps; néanmoins il pourrait bien être le corps dont il diffère. — On ne s’en tient pas là; on pousse jusqu’au bout, et on écrit enfin ceci : « Dans certaines conditions, la matière produit la lumière, la chaleur; dans d’autres conditions, elle vit;... dans d’autres conditions, à un degré supérieur, elle se manifeste comme pensée, elle acquiert la conscience, elle arrive à la vie spirituelle. » — D’où il résulte expressément cette fois que la matière consciente, qui se sent différente du corps, est identique au corps lui-même. Y aurait-il injustice ou seulement excès de sévérité