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mystérieuse vue par Jérémie du côté de l’aquilon (chaudière des persécutions du monde contre les saints) commençait à chauffer contre lui : » c’était vrai ; mais la lettre à Eustochium la fit bouillir à gros bouillons et plus qu’il n’aurait voulu peut-être.


« Chère Eustochium, lui dit-il, ma fille, ma dame, ma compagne, ma sœur, ma fille par ton âge, ma dame par l’on mérite, ma compagne par nôtre commune profession de servir Dieu, ma sœur par les liens de la charité,…

« Fuis ces vierges qui sous l’enseigne de leur sainte profession attirent à leur suite, par des regards dérobés, un essaim de jeunes gens : elles méritent d’entendre à leurs oreilles ces paroles du prophète : « Vous avez le front d’une femme débauchée, et vous ne savez pas ce que c’est que rougir. » N’avoir sur ses habits que quelque petit filet de pourpre, se coiffer négligemment afin de laisser pendre ses cheveux, porter des chaussures communes, des manches courtes et serrées, une écharpe douleur d’hyacinthe qui voltige sur les épaules au gré du vent, affecter la nonchalance et la mollesse dans sa démarche, voilà en quoi consiste toute leur virginité. Qu’elles aient leurs admirateurs et s’attirent tant qu’il leur plaira les louanges de certaines gens, afin que sous le nom de vierges elles mettent à plus haut prix leur innocence ! Nous ne cherchons pas l’estime de tout ce monde, et nous nous consolons de ne pas l’avoir.

« Il y a aussi des vierges qui en ont pris le costume et l’état par répugnance prétendue pour la servitude du mariage : elles ont tort ; mieux vaut se marier que brûler, l’apôtre l’a dit. Ces vierges et les veuves qui leur ressemblent circulent, oisives et curieuses, dans les maisons des matrones. Sans pudeur au front, sans retenue aux lèvres, elles laissent loin derrière elles les parasites de comédie ; chasse-les de ta présence comme des pestiférées, car le poète comique a raison : « les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs. » Celles-là n’ont souci, que de leur corps ; elles répètent perpétuellement aux femmes : « Ma petite chatte[1], usez donc de ce qui est à vous, et vivez tant que vous avez encore à vivre. Est-ce pour vos enfans que vous gardez tout cela ? » Ces vierges-là sont adonnées au vin, et l’ivrognerie, est encore le moindre de leurs vices ; elles ne savent que faire, conseiller, insinuer le mal…

« Je ne saurait dire sans rougir, tant la chose est criminelle et honteuse, si vraie qu’elle soit pourtant, comment s’est introduite dans l’église la peste des[2], d’où est venu cet étrange nom d’épouse sans mariage, ce nouveau genre de concubines, ou, pour parler plus nettement encore, cette classe de prostituées d’un seul homme. Elles cohabitent avec des clercs, et n’ont à deux qu’une seule maison, une seule chambre à coucher,

  1. Mi catella (ma petite chienne). Hier., ep. 18.
  2. J’ai déjà parlé de ces vierges ou sœurs agapètes, qu’on appelait en Occident sous-introduites, dans un de mes récits du Ve siècle à propos des réformes de saint Jean Chrysostome. Jérôme les qualifie ici de pestes, et en effet elles n’étaient pas un moindre fléau en Occident qu’en Orient, où elles bravaient également les lois civiles et celles de l’église. — Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er août 1861.