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dans l’Amérique du Nord, des changemens de même nature ont eu lieu pendant l’ère actuelle de l’histoire géologique et sans qu’aucune révolution violente ait bouleversé la terre. Les continens s’élèvent et s’abaissent comme par une respiration lente.

Tout change, tout est mobile dans l’univers, car le mouvement est la condition même de la vie. Jadis les hommes, que l’isolement, la haine et la peur laissaient dans leur ignorance native et remplissaient du sentiment de leur propre faiblesse, ne voyaient autour d’eux que l’immuable et l’éternel. Pour eux, le ciel était une voûte solide, un firmament sur lequel étaient clouées les étoiles, la terre était l’inébranlable fondement des cieux, et rien, si ce n’est un miracle, ne pouvait en faire osciller la surface ; mais depuis que la civilisation a rattaché les peuples aux peuples dans une même humanité, depuis que l’histoire a renoué les siècles aux siècles, que l’astronomie, la géologie, ont fait plonger le regard jusqu’à des milliards d’années en arrière, l’homme a cessé d’être isolé et pour ainsi dire d’être mortel. Ne rapportant plus la vie des astres ni celle de la terre à sa propre existence, si rapide, si fugitive, mais la comparant à la durée de sa race entière et à celle de tous les êtres qui ont vécu avant lui, il a vu la voûte céleste se résoudre en un espace infini et la terre se transformer en un petit globe tournoyant au milieu de la voie lactée. Le sol ferme qu’il foule aux pieds, et qu’il croyait immuable, s’anime et s’agite ; les montagnes se redressent ou s’affaissent ; non-seulement les vents et les courans océaniques circulent autour de la planète, mais les continens eux-mêmes, se déplaçant avec leurs sommets et leurs vallées, se mettent à cheminer sur la rondeur du globe. Les couches rocheuses oscillent comme la mer ; elles aussi sont soumises à l’attraction des astres, puisque les tremblemens de terre sont plus fréquens à l’époque des pleines et des nouvelles lunes ; elles aussi ont leurs marées diurnes, invisibles à nos regards, mais démontrées par le calcul. Peut-être même prouvera-t-on un jour que, dans le sein de la terre, s’accomplit un échange des molécules solides pareil à la circulation des molécules aériennes et liquides de l’atmosphère et de l’océan. Sans insister sur cette hypothèse, que l’état de la science ne justifie peut-être pas encore, qu’il nous suffise de reproduire en terminant ces paroles de Darwin : « Le temps viendra où les géologues considéreront le repos de l’écorce terrestre pendant toute une période de son histoire comme aussi improbable que le serait le calme absolu de l’atmosphère pendant toute une saison de l’année. »


ELISEE RECLUS.