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conteste, c’est sa valeur pratique, efficace pour la vie et pour le salut. Là au contraire est le triomphe du christianisme. « Nous ne connaissons Dieu, dit-il, que par Jésus-Christ ; sans ce médiateur est ôtée toute communication avec Dieu. » C’est de la même manière que jadis saint Augustin était arrivé au christianisme. Les platoniciens, disait celui-ci, lui avaient révélé Dieu, mais sans lui donner le moyen qui y conduit. Ce moyen, ce chemin, c’est Jésus-Christ, selon la parole : « Je suis la voie, je suis la vie. » La voie et la vie, voilà, selon les chrétiens, ce que la philosophie ne donne pas ; voilà pourquoi elle est non impuissante, mais insuffisante. Si Pascal était resté dans ces termes, il serait d’accord avec tous les théologiens et avec la doctrine universelle de l’église, car il est de toute évidence que, si la philosophie n’était pas insuffisante, la foi serait inutile.

Après avoir ainsi posé le problème, M. Emile Saisset aurait pu, dans ses leçons de la Sorbonne, en éluder, en ajourner la solution. De graves et délicates convenances semblaient l’y autoriser. Il ne le fit pas, et on remarquera avec quelle netteté et franchise de parole il défendit en cette circonstance les droits et le rôle de la philosophie. Jusqu’à quel point la philosophie est-elle insuffisante ? Voilà ce qu’il fallait chercher. M. Saisset n’hésite pas à reconnaître qu’elle l’est pour la grande masse du genre humain, pour cette multitude d’hommes qui n’ont pas de loisirs, qui ont à peine le temps d’étudier, de lire, de penser. Elle ne suffit guère davantage aux âmes poétiques, qui ont besoin de symboles non-seulement pour charmer leur imagination, mais pour captiver leur raison Elle ne suffit pas aux âmes mystiques, qui veulent avec Dieu un commerce affectueux et familier : témoin cet admirable dialogue de Pascal et de Jésus-Christ dans le Mystère de Jésus, fragment découvert par M. Faugère. À toutes ces âmes la philosophie ne suffit pas ; elle ne donne pas un commerce direct, immédiat entre l’homme et Dieu. Elle donne de Dieu une connaissance spéculative ; elle n’en donne pas une vue précise, un goût sensible et pratique. De là, vient qu’elle n’a jamais pu organiser un culte ni au temps de l’école d’Alexandrie, qui voulut régénérer le paganisme, ni au XVIIIe siècle, où l’on inventa la théophilanthropie, la déesse Raison, le culte de l’Être suprême, ni de nos jours, où les saint-simoniens ont essayé de parodier le culte catholique, tout en organisant la dictature de l’industrie et en donnant le bien-être comme fin suprême à la destinée humaine.

Mais, si la philosophie est insuffisante pour un grand nombre d’hommes, elle ne l’est pas cependant pour tous. La philosophie convient et suffit, selon M. Emile Saisset, à trois classes d’hommes :