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l’armée des Turcs. Le centre fut occupé par les troupes des cercles, commandées par le margrave de Bade et le comte de Hollach. Les Français, Coligny à leur tête, se placèrent à l’aile gauche, vis-à-vis du pavillon du grand-vizir[1]. Sous ses ordres le maréchal-de-camp Gassion commandait la cavalerie, et La Feuillade l’infanterie. Montecuculli, avec ses impériaux, se réserva l’aile droite. Il avait sous ses ordres le prince Charles de Lorraine, le vieux général Spork, qui commandait la cavalerie, et le comte Fugger, chargé de l’artillerie. Cette séparation des armées devait, pensait-on, augmenter le courage de chacune par l’émulation, par l’exemple, par la rivalité même. Enfin chaque général en chef, suivant les instructions dont nous avons parlé, avait pour premier devoir d’empêcher le passage dans la partie du fleuve que bordaient ses troupes. On verra quel danger faillit naître de cette disposition, trop rigoureusement observée au début du combat.

Le lendemain 1er août, vers neuf heures du matin, le grand-vizir se porta sur le gué avec le gros de ses forces. Trois mille spahis, ayant en croupe autant de janissaires, traversèrent le fleuve et occupèrent la rive gauche au point où quelques-uns des leurs avaient déjà pénétré la veille. Ce même bois qui avait masqué la surprise et la défaite du poste avancé des Allemands couvrait encore les Turcs. Coligny et le comte de Hollach, qui s’aperçurent les premiers du péril, coururent à la tente du margrave de Bade, à la garde duquel cette partie de la rive était confiée. Ils le trouvèrent dans son lit, retenu par la fièvre, et, quelques instances qu’ils lui fissent, il leur répondit avec le plus beau sang-froid : « Eh bien ! s’ils passent, il faut donner dessus. » Montecuculli, qui reçut le même avis, envoya en toute hâte trois régimens impériaux pour venir en aide aux Allemands. Ainsi soutenues et animées, les troupes des cercles, ayant à leur tête le comte de Waldeck, se préparèrent en assez bon ordre à soutenir l’attaque des Turcs.

Vers dix heures, l’ennemi, poussant des cris épouvantables, fondit avec un grand feu de mousqueterie sur les Allemands. Ceux-ci étaient de nouvelles recrues qui n’avaient encore assisté à aucune bataille ; la faim, la fatigue, les marches et la fièvre avaient abattu leurs forces. Ils furent saisis d’épouvante. Les décharges de l’artillerie turque établie la veille achevèrent le désordre et la confusion. En vain le comte de Waldeck, furieux et hors de lui, frappait de son épée dans les reins les officiers qui s’enfuyaient ; rien n’y faisait. Le comte de Hollach voulut ramener la cavalerie et se porter en

  1. La tradition indique encore, auprès d’une petite fontaine qui jaillit de terre, la place de la tente de Coligny.