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et elle finit, à l’ouest, près de Zermatt, où elle débouche dans la vallée de la Visp. Tout le fond de cette gorge est occupé par la mer de glace du Gorner, qui reçoit des sommets environnans neuf glaciers, rivières solidifiées, mais mouvantes, reconnaissantes, même après qu’elles se sont réunies au fleuve principal, par les moraines qu’elles entraînent avec elles. Voici l’aspect de la crête splendide qu’on a devant soi en regardant vers le sud : à gauche, dominant le col du Weissthor, s’élève, au-dessus d’une vaste plaine de neige d’une pente très douce, un petit cône parfaitement blanc : c’est la Cima-di-Jazzi, nœud de jonction de la chaîne centrale des Alpes et des deux éperons qui l’arc-boutent au sud et au nord. Au-delà de la Cima-di-Jazzi, la crête s’abaisse de nouveau en un col qui est l’ancien Weissthor, aujourd’hui abandonné à cause des dangers qu’il présente. Une immense paroi de rochers noirs surgit ici des neiges et soutient une puissante masse à double cime : c’est là le Mont-Rose, avec deux de ses neuf sommets, les seuls visibles du côté du Valais, la Nord-Ende et la Höchste-Spitze, dont la première mesure 14,153 pieds, et la seconde 14,284. Vient ensuite une nouvelle dépression d’où descendent en cascades congelées les flots éblouissans d’un glacier, le Gränz-Gletscher. Plus loin, une coupole arrondie, presque toute couverte de neige, et les deux pics argentés qui l’accompagnent s’appellent le Lyskam (13,874 pieds) et les Jumeaux. Après un large relèvement, amas énorme de rocs et de glaces qu’on a très bien nommé le Breithorn (la Large-Corne), la ligne de faîte s’abaisse brusquement et forme le col de Saint-Théodule, par où l’on passe en Piémont en s’élevant à 10,322 pieds et en marchant pendant cinq heures sur le glacier. Le Cervin, toujours incomparable, ferme de ce côté le défilé de ces colosses. En se retournant, on aperçoit encore les points culminans des deux contre-forts qui encadrent la vallée de Zermatt, le Mischabel et le Weisshorn, et au loin les plus hautes cimes des Alpes bernoises détachent leur profil éclatant sur l’azur foncé du ciel. La vue de ce cirque immense de hautes montagnes produit une impression profonde, et ce qui l’augmente encore, c’est l’isolement du lieu où l’on se trouve. On domine le glacier à pic d’une hauteur d’environ 1,500 pieds ; il est là, étalé à vos regards, comme une carte topographique. On peut compter ses crevasses, les blocs de ses nombreuses moraines médianes, les petits ruisseaux qui coulent à la surface comme des filets d’argent, et de temps en temps on entend les craquemens sourds qui annoncent que la masse poursuit lentement son mouvement de descente. Chose singulière, je vis là plusieurs personnes regarder du haut de cette paroi verticale le précipice où le moindre faux pas les aurait inévitablement jetées, sans éprouver