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pourvu qu’ils fussent forts et valides. L’arrêt, dressé à Paris, fut aussitôt transformé en jugement. Un des chefs de l’insurrection » roué vif sur une place de Boulogne, plusieurs autres pendus à Samer, Marquise et dans quelques villages voisins, servirent d’exemple. Quant aux quatre cents qu’on avait décidé, avant jugement, d’envoyer aux galères, on a, par un agent de Colbert, des détails sur leur état. Arrivé à Montreuil-sur-Mer le 31 juillet pour prendre la conduite de la chaîne, il les avait trouvés à peu près nus, malades, décimés par les fièvres ; il espérait pourtant qu’ils se porteraient mieux quand ils auroient pris l’air. Un autre agent mandait le 6 août à Colbert que les quatre cents forçats de Montreuil étaient bien misérables. « Il faut, ajoutait-il, faire un peu de dépense extraordinaire afin de les remettre, car ce sont de bons hommes qui pourront servir, s’ils sont bien ménagés et secourus. Si l’on peut les conduire comme il faut, ce sera un grand renfort pour les galères de sa majesté[1]. » Les préparatifs de la chaîne terminés, elle se mit en marche, escortée par de forts détachemens. La précaution n’était pas superflue, surtout en traversant la province, car on redoutait un enlèvement, et le ministre Le Tellier écrivait (19 août) qu’on avait offert au conducteur jusqu’à 200 pistoles pour substituer des faux-sauniers à quelques-uns des condamnés. On devine, et les lettres de l’intendant de marine de Toulon le disent assez, l’état pitoyable dans lequel la chaîne y arriva. Ce n’est pas tout. La ville de Boulogne n’avait, disaient ses habitans, pris aucune part au mouvement. La cour, convaincue du contraire, voulut punir ceux qui avaient laissé faire, peut-être même excité les mécontens. On croyait la répression satisfaite quand le maréchal d’Aumont, gouverneur de la province, reçut huit lettres de cachet en blanc, « avec l’ordre, dit une relation contemporaine, de les délivrer à autant de principaux bourgeois de la ville qu’il connoîtroit avoir trempé dans cette affaire par leurs conseils ou autrement. » Le maréchal eut beau protester, il dut s’exécuter et exiler à Troyes « huit honnêtes bourgeois, réellement innocens (ce sont ses expressions), faute d’en pouvoir trouver de coupables : » tristes représailles, qui provoquèrent immédiatement une réunion des trois états à l’hôtel de ville. On y décida l’envoi d’une nouvelle députation au roi pour réclamer le rétablissement des privilèges du pays, la suppression des 40,000 livres pour les quartiers d’hiver, une amnistie générale, le pardon des galériens et le rappel des huit exilés. C’était beaucoup demander. L’évêque de Boulogne, qui intervint, obtint seulement que ces derniers seraient autorisés à ren-

  1. Depping, Correspondance administrative sous Louis XIV, t. II, p. 897.