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leurs maisons de campagne au plus tôt, faute de quoi ils seraient déchus de ladite grâces, » et l’article 5 obligeait leurs fille à choisir leurs maris de conditions commune[1]. » Quoi qu’il en soit, la révolte, comme une traînée de poudre, se généralisait. Les évêchés de Léon et de Quimper, Carhaix et Landernau, le diocèse de Tréguier, les environs de Fort-Louis, d’Hennebon, de Quimperlé, étaient en armes. Outre le code paysan, un chant populaire, inspiré par d’amers ressentimens et gros de vengeance, exaltait toutes les têtes. C’était la Ronde du papier timbré.


« Quelle nouvelle, en Bretagne ?… Que de bruit ! que de fumée ! — Le cheval du roi, quoique boiteux, vient d’être ferré de neuf. — Il va porter en Basse-Bretagne le papier timbré et les scellés. — Le roi de France a six capitaines, bons gentilshommes, gens de grande noblesse ; le roi de France a six capitaines pour monter sa haquenée. — Deux sont en selle, deux sur le cou, les deux autres sur le bout de la croupe. — Légère armée qu’a le roi de France ! Dans notre balance, elle ne pèsera pas cent livres !

« Le premier porte le pavillon et la fleur de lis du poltron[2] ; — le second tient une épée rouillée qui ne fera grand mal à personne ; — Le troisième a des éperons de paille pour égratigner la sale bête ; — le quatrième porte deux plumes, l’une, sur son chapeau de capitaine et l’autre derrière l’oreille. Avec le cinquième, viennent les herbes de malheur : le papier timbré, la bourse vide, — la bourse du roi, profonde comme la mer, comme l’enfer toujours béante. — Enfin le dernier tient la queue et conduit le cheval en poste.


« Quel équipage a le roi ! quelle noblesse ! quelle armée ! — Or, à leur première arrivée avec leur timbre en ce pays, — ils étaient couverts de haillons et maigres comme des feuilles sèches ; — nez longs, grands yeux, joues pales et décharnées ? — leurs jambes étaient des bâtons de barrières, et leurs genoux, des nœuds de fagots. — Mais ils ne furent pas longtemps au pays qu’ils changèrent, nos six messieurs, — Habits de velours à passementeries, bas de soie, et brodés encore ! — Nos six croquans s’étaient même acheté chacun une épée à garde d’ivoire, — En bien peu de temps, dans nos cantons, ils avaient changé de manière d’être. — Face arrondie, trogne avinée, petits yeux vifs et égrillards, — ventres larges comme des tonneaux, voilà le portrait de nos six huissiers. — Pour les porter jusqu’à Rennes, on creva six chevaux de limon ! — Lors de leur arrivée première

  1. L’article 6 du code était ainsi conçu : « Il est défendu, à peine d’être passé par la fourche, de donner retraite à la gabelle et à ses enfans, et de leur fournir ni à manger ni aucune commodité ; mais au contraire il est enjoint de tirer sur elle comme sur un chien enragé. » (La Révolte du papier timbré, page 92.)
  2. M. de la Borderie voit là une allusion à Louis XIV, et il rappelle à ce sujet les vers de Boileau :
    Louis, les animant du feu de son courage,
    Se plaint de sa grandeur qui l’attache au rivage.