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que le lieu même où toutes les communions chrétiennes doivent oublier leurs dissidences est devenu l’arène des rivalités les plus mesquines et les plus opiniâtres. Si l’unité des formules est impossible, ai elle est même peu désirable, qu’est-ce donc qui s’oppose à l’union des cœurs ? Et où donc cette union s’accomplira-t-elle jamais, si on ne la rencontre pas sur cette terre de Palestine, berceau commun de toutes les églises ? Ces réflexions désolent le noble théologien et il ajoute : « L’auguste voyageur que j’accompagnais à Bethléem caressait l’espérance de voir Jérusalem devenir un jour la capitale de la fédération chrétienne ; hélas ! que nous sommes loin de cette création grandiose ! que nous sommes loin de ce patriotisme chrétien ! » Je relève à mon tour les paroles de M. Tischendorf, et je lui demande s’il connaît bien tous les obstacles qui s’opposent à la réalisation de ce noble rêve. Parmi ces causes si complexes, il faut signaler sans doute les misérables querelles des communions rivales ; sont-ce bien les seules pourtant ? Oubliez-vous les prétentions envahissantes de la Russie ? Oubliez-vous que la plupart des églises grecques, tout en remerciant le gouvernement de Saint-Pétersbourg de sa protection et de ses bienfaits, préfèrent la suzeraineté de l’empire ottoman à celle des tsars ? Au moment même où M. Tischendorf écrit les paroles qu’on vient de lire, il récrimine en termes amers contre la guerre de Crimée. Parcourant la grande mosquée d’Aksa, construite avec les débris du temple de Salomon, il songe à toutes les vicissitudes du temple à travers les siècles, il se demande quand reparaîtra la croix d’Héraclius, de Godefroy, de Baudoin, sur les murailles profanées, et il ajoute avec confusion : « Nous n’avons pas le droit de répéter la clameur éplorée des fils exilés d’Israël : Seigneur ! combien de temps encore ? Du moins nous ne l’avons plus depuis le bombardement de Saint-Jean-d’Acre et la guerre de Crimée ! » Qu’a-t-elle donc fait autre chose, cette guerre de Crimée, que d’empêcher l’invasion russe, c’est-à-dire un des principaux obstacles à cette union dont vous parlez si bien ?

Déjà, dans un autre livre sur l’Orient, M. Tischendorf avait dit : « C’est un point hors de doute, il ne faut pas aujourd’hui autant de plumes qu’il a fallu d’épées autrefois pour atteindre le but que poursuivaient les croisades ; mais ici se dresse la question épineuse : à qui appartiendra Jérusalem ? Le comble de la honte en cette affaire, c’est que les jalousies personnelles l’emportent sur l’intérêt sacré de la communauté. Une chose est claire du moins : il faut que Jérusalem soit chrétienne. Eh bien ! pour couper court aux querelles de famille et aux revendications du commun patrimoine, faisons de Jérusalem ou bien la capitale de la fédération chrétienne,