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nappes et en fusées les matières incandescentes. Dès le lendemain, des soldats et des pompiers, mandés en toute hâte de Messine et de Catane, aidaient les paysans dans ce travail, tandis que, de leur côté, les prêtres et les moines de la contrée, se mettant à la tête de longues processions de fidèles, escaladaient les pentes pour aller à la rencontre de l’ennemi. Arrivés en vue des bouches qui lançaient à chaque explosion des blocs de pierre ou des nuages de cendres, les prêtres en surplis conjuraient le torrent de lave rouge tout chargé de scories et d’arbres à demi carbonisés, qui descendait à travers la forêt en roulant sur lui-même et en brûlant les herbes devant lui. Vêtus de leurs cagoules de pénitens et chantant les hymnes sacrées, les villageois essayaient d’arrêter le fleuve de feu par l’énergie de leurs prières et la pompe de leurs rites. Ils avaient avec eux les statues de leurs saints et les invoquaient à grands cris. Toutes ces effigies de bois doré ou de carton peint étaient là, rangées en bataille, au-dessous de la nappe en fusion qui s’épanchait des crevasses. C’étaient, avec l’image de la Vierge, grande souveraine des élémens, la statue de sainte Agathe, qui est la patronne spéciale des montagnards de l’Etna et comme la déesse du volcan, puis les divers saints qui protègent les troupeaux et les cultures, et tous ceux qui, durant les précédentes éruptions, avaient commandé aux courans de laves de s’arrêter sur les pentes. Dans ce pays, où l’antique polythéisme s’est maintenu sous une forme moderne, mais en se corrompant et en perdant de sa poésie, chaque maisonnette a ses lares, chaque homme a l’image d’un saint sur sa peau ; les animaux domestiques eux-mêmes portent, suspendus à leur cou dans un sachet bénit, les amulettes qui doivent les préserver des accidens et des maladies. Ce sont là les dieux que les habitans des localités menacées invoquaient dans leur péril.

Cependant le courant de matières fondues avançait toujours, et les villageois, emportant leurs saints, devaient reculer pas à pas, puis abandonner complètement le champ de bataille. Durant les six premiers jours de l’éruption, il s’échappa de la crevasse du volcan une quantité de lave évaluée à 90 mètres cubes par seconde, volume deux fois plus considérable que la masse liquide de la Seine au plus bas étiage. Dans le voisinage des bouches, la vitesse du courant n’était pas moindre de 6 mètres à la minute ; mais plus bas le fleuve, s’étalant sur une surface de plus en plus large et projetant diverses branches dans les vallons latéraux, perdait peu à peu de sa vitesse initiale, et les franges de scories que les matières incandescentes, poussaient devant elles ne progressaient en moyenne, suivant l’inclinaison du sol, que de 50 centimètres à 2 mètres par