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villes et villages habités par plus de vingt-cinq mille personnes ; mais ce fut là une calamité tout exceptionnelle. Les matières fluides qui font éruption tous les dix ou vingt ans en divers points de la montagne s’arrêtent presque toujours au-dessus de la zone habitée et ne recouvrent qu’une faible étendue de cultures. D’ailleurs les flancs de la montagne offrent un développement tellement considérable que la plus grande partie de leur étendue a été respectée par les laves et les cendres pendant les siècles historiques : même, dans le voisinage du sommet, la Tour du Philosophe, que l’on croit avoir été bâtie par l’empereur Adrien et dont les débris existent encore, prouve que les fragmens rejetés par le volcan ont à peine exhaussé le sol. Si tous les propriétaires de l’Etna s’unissaient en société d’assurances mutuelles pour parer aux dégâts causés par les éruptions, la somme annuelle qu’ils auraient à payer ne serait qu’une très faible proportion de leurs revenus.

Quant à la mortalité causée par les phénomènes volcaniques de l’Etna, elle est presque nulle à cause de l’altitude considérable à laquelle s’ouvrent généralement les crevasses et de la lenteur relative qui caractérise l’écoulement des laves. La mal’aria qui règne au-dessus des terrains marécageux de la base fait cent fois plus de victimes que les éruptions. Le dernier événement grave que l’on cite eut lieu en 1843, quelques jours après la formation d’une crevasse d’où sortait un courant de matière fondue descendant vers Bronte. Une foule de curieux accourus de la ville contemplaient de loin la masse envahissante, des paysans coupaient les arbres de leurs champs, d’autres emportaient à la hâte les meubles de leurs cabanes, lorsque tout à coup on vit l’extrémité de la coulée se gonfler en forme d’ampoule, puis éclater en projetant dans tous les sens des nuages de vapeur et des fusées de pierres incandescentes. Tout fut rasé par cette terrible explosion, arbres, maisons, cultures, et l’on dit que soixante-neuf personnes renversées du coup périrent sur-le-champ ou dans l’espace de quelques heures. Ce désastre était occasionné par la négligence d’un cultivateur qui n’avait pas vidé la citerne de sa propriété ; l’eau, transformée soudain en vapeur, avait éclaté avec la force explosive de la poudre à canon. On le voit, il eût été facile d’éviter ce malheur. Depuis lors les paysans prennent leurs précautions, afin que pareil désastre ne se reproduise plus, et d’avance ils explorent avec soin le chemin que se prépare à suivre la lave. Dans les éruptions ordinaires, qui