Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

geuse, par les aspects changeans des prairies sur lesquelles flotte le brouillard du matin ou par les mille bruits des vallons empourprés de soleil. Elle a cela de particulier, d’aimer la nature vraie et réelle, de la sentir, de vivre dans une sorte d’intimité avec elle. Mme de Gasparin a un autre trait distinctif, peu commun en vérité chez les femmes qui écrivent et même chez beaucoup d’hommes : elle a l’humeur voyageuse ; elle aime les voyages pour les voyages, pour voir, pour satisfaire une curiosité d’esprit, non pour suivre une mode et tromper une oisiveté frivole. Elle a commencé autrefois par visiter l’Égypte, la Grèce, la Palestine, lorsque c’était un vrai voyage, et elle en a rapporté un livre animé, coloré, ingénieux, qui serait plus intéressant encore, s’il n’était trop parsemé de distribution de bibles et de petites prédications. Aujourd’hui elle pousse moins loin ses excursions, il est vrai ; elle va là où tout le monde passe, en Italie ; elle découvre plus près d’elle les sources de l’Orbe, le Mont-Tendre, le Suchet, ou les aiguilles de Beaulmes, dans la pétulante compagnie de la bande du Jura. Elle a échangé la cange du Nil d’autrefois pour le char à échelles des montagnes. C’est toujours la même curiosité voyageuse, le même goût de mouvement qui, en révélant un trait de caractère, communique pour ainsi dire son animation à tout ce qu’écrit l’auteur, qui laisse tomber sur ses pages le reflet des souvenirs et des impressions. Et avec tout cela Mme de Gasparin reste une puritaine ardente, agitée, intraitable, douée d’une activité infatigable d’analyse, de réflexion, de méditation, d’une curiosité du monde invisible égale à sa curiosité de toutes les choses extérieures. C’est peut-être la plus spirituelle des filles « de la paroisse de Calvin, » selon le mot que Sismondi appliquait à son ami Lullin de Chateauvieux ; mais elle est assurément de la paroisse. De là cette physionomie singulière d’une femme alliant une croyance sévère, passionnée, à toutes les fantaisies d’un talent libre et hardi ; de là ce mélange de tons se heurtant, se contredisant et finissant par se fondre dans cet ensemble d’œuvres, non pas même d’œuvres, de fragmens au titre poétique, les Horizons prochains, les Horizons célestes, Vesper, les Tristesses humaines, qui ressemblent à quelque chose comme une symphonie confuse, stridente, douloureuse ou spirituellement gaie, quelquefois saisissante et passablement bizarre, sur des thèmes toujours vieux et toujours nouveaux.

Que sont en effet toutes ces compositions nées au souffle de l’inspiration du moment et jetées dans le monde sous des noms expressifs ou symboliques, si ce n’est des fragmens détachés, inachevés, à peine liés, formant une collection de rêveries, d’anecdotes, de boutades, d’effusions qui se succèdent et se mêlent, semblables à une mélopée alternée et étrange ? L’auteur se définit lui-même et