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sirs, quelquefois les scrupules, la vanité, le pédantisme, la nécessité, l’argent, les tyrannies de l’atmosphère, le temps gris, « les mélancolies du ciel, » l’hostilité d’un milieu contraire. Il y a « l’oppression des idées médiocres qui étendent leur niveau sur tout ce qui les dépasse,… l’oppression des gros esprits qui imposent aux faibles leur grosse vigueur,… l’oppression de l’ignorance qui écrase en aveugle,… l’oppression des natures mal ébauchées qui vont de l’avant, cassant et broyant sans pitié… » Et, chose étrange, que remarque finement l’auteur, c’est que ce sont les natures d’élite, les natures les plus délicates, qui sont le plus menacées d’esclavage, parce qu’elles sont travaillées de scrupules, plus disposées à souffrir qu’à se défendre, parce que « le froissement dont s’apercevrait à peine un épiderme moins délicat les déchire, et tel poids qu’enlèverait du bout du doigt un de ces hercules fortement musclés qui se rient de nos membres débiles les laisse abattues par terre. » — Vous avez l’orgueil de la vie, du bonheur, de la puissance : prenez garde, vous êtes aussi entouré de destructions. La destruction sous toutes les formes, à pas comptés, fait incessamment son œuvre et touche à tout, à votre force, à votre esprit, à ceux que vous aimez, à vos relations. « Vous souvient-il du Miserere de la chapelle Sixtine ? A chaque strophe, un cierge s’éteint. Le chant continue de pleurer, plus triste à mesure que l’obscurité se fait plus profonde. C’est bien cela ; une tendresse, une faculté, le bonheur, le malheur, tout disparaît… » Mme de Gasparin a de ces tableaux rapides et imagés où se révèle poétiquement le sentiment de la destruction des choses, de l’universalité de la douleur, des contrastes de la vie et de la mort. « La nuit, par une nuit d’été, vous dira-t-elle, avez-vous voyagé au galop d’un rapide attelage ? Les brises fraîches couraient autour de vous. Enivré des parfums que les fleurs versent le soir, vos regards s’enfonçaient dans le ciel infini parmi les innombrables étoiles. A moitié rêveur, vous n’habitiez plus la terre qu’à demi, et cette terre était charmante ; elle était idéalement belle. Tout à coup, dans quelque village, vous voyez une petite fenêtre éclairée ; les autres chaumière, dorment ; ici l’on veille. Qui veille ? Le bonheur ? — Non, une mère courbée sur le berceau de l’enfant dont s’éteint la vie ; une femme debout, pâle, vers la couche où meurt son mari ; deux hommes assis au coin de l’âtre, et sur le lit un corps glacé que demain on portera au cimetière… »

Est-ce un moraliste, est-ce un poète qui parle ? Je ne sais ; c’est toujours un esprit vif, curieux, qui a l’instinct des tristesses humaines, mais qui ne laisse pas en même temps d’avoir l’œil ouvert sur les ridicules, sur les inconséquences, sur les vices de la race mortelle, qui a certainement son originalité, et qui d’un autre côté