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sans ivresse : tel est l’homme. » A Venise, la bande visite en courant la ville où « l’Autrichien commande ; » à Gênes, elle va voir la rivière du Levant. Partout elle s’égaie. Et puis, et puis ?… Au moment du retour et de la séparation, elle fait comme toujours. La note dominante revient : « Venez,… ici, à l’écart, ouvrons notre Bible, celle qui chaque soir nous a versé sa lumière. Demandons les énergies de la soumission, demandons l’ardeur des beaux zèles… » Rien n’empêcherait après tout d’être un bon chrétien sans avoir l’air à tout instant de faire pénitence de sa bonne humeur.

Œuvre d’humoriste contenu, rectifié par la piété ! Au fond, ce n’est point une physionomie vulgaire qui apparaît à travers toutes ces pages, où la vérité du talent se combine avec la monotonie d’une idée fixe. Mme de Gasparin a le mérite d’avoir un de ces talens qui cherchent et qui osent, qui ne craignent pas l’imprévu, qui ont une originalité indépendante au milieu du chœur vulgaire des banalités contemporaines. Elle a cette originalité qui naît d’une inspiration librement formée en dehors des milieux factices, nourrie de la contemplation familière des grands aspects de la nature et de la recherche inquiète, subtile, des nuances mystérieuses de la vie spirituelle. Elle dit quelque part que ce qu’elle écrit n’est point fait pour les fins connaisseurs. Elle se trompe : ceux-là au contraire, et ceux-là seuls, peuvent aller chercher à travers la diffusion, la prolixité et l’effort ce qu’il y a de charme secret, provoquant dans ses ouvrages. Littérairement, ces petits ouvrages ne réalisent point certes l’idéal de l’art ; ils ont tout le décousu d’une pensée à peine maîtresse d’elle-même, qui vagabonde et se joue ; la langue de l’auteur glisse même parfois dans les plus étranges incorrections, dans les plus abruptes témérités. Ce né sont point des livres faits, ce sont des fragmens, des pages qui se succèdent un peu en désordre ; mais ces pages, ces fragmens, ont ce je ne sais quoi qui est un stimulant, qui fait penser ; ils ont le mouvement d’une inspiration morale ambitieuse, et par-dessus tout ils laissent entrevoir à travers les capricieux nuages cette excitante parole inscrite en tête d’un des livres de l’auteur : Excelsior ! mot d’ordre des cœurs inassouvis, des esprits altérés de grandeur morale, des générations qui se lèvent et se mettent en marche pour porter à leur tour le poids de la journée.


CHARLES DE MAZADE.