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M. Voyer d’Argenson ces lignes si connues et si souvent citées : « Tous ces cris s’évanouiront, et la philosophie restera. Vous verrez de beaux jours, vous les ferez : cette idée égaie la fin des miens. » Dom Deschamps publia même une réfutation du système de Spinoza, contre lequel il propose de. bonnes objections. Seulement il nous est impossible de voir en quoi ses propres idées s’éloignent de celles qu’il combat.

Dans ces différens écrits, dom Deschamps semble prendre la cause de la religion contre l’athéisme : il va même, ce qui est vraiment incompréhensible et presque odieux, jusqu’à justifier l’inquisition ; mais s’il sacrifie à la religion ce qu’il appelle la fausse philosophie, il n’hésite pas ensuite à sacrifier à la vraie philosophie, c’est-à-dire à la sienne, la religion elle-même. La religion, suivant lui, vaut mieux que l’athéisme ; mais au-dessus de la religion il y a quelque chose de mieux encore, qui est la vérité. C’est ce système qui absorbe la religion en l’interprétant, et qui lui est aussi supérieur qu’elle-même l’est à l’athéisme, c’est ce système, dis-je, qu’on peut appeler un hégélianisme anticipé.

Le principal mérite de cette philosophie, selon M. Beaussire, est d’avoir revendiqué énergiquement les droits de la métaphysique, partout alors décriée et remplacée par la physique. Il croit à une connaissance absolue qui atteint le fond des choses, tandis que de son temps on n’admettait qu’une connaissance relative, bornée à des phénomènes et à des apparences. Aussi ne craint-il pas de défendre la thèse discréditée des idées innées contre le sensualisme du siècle et la méthode rationnelle contre la méthode expérimentale. Il semble parler même la langue de Fénelon lorsqu’il dit : « Ma raison seule, parlera à celle des hommes, qui ne diffère pas au fond de la mienne… Ces vérités, puisées dans l’entendement, doivent être les vérités de tous les temps et de tous les lieux. »

Mais si notre bénédictin a les mérites de l’idéalisme spéculatif, il en présente aussi tous les excès. C’est ici que commencent les analogies signalées par M. Beaussire entre dom Deschamps et l’école allemande. On retrouve. d’abord chez lui le célèbre principe de l’identité de l’être et de la pensée. « La vérité, dit-il, ne peut avoir de réalité hors de nos idées ; il ne peut y avoir dans les choses que ce que nous y mettons. » On y retrouve le principe de l’identité des contradictoires. « La vérité, dit-il, ne nie aucun système, elle les épure tous ; elle consiste non-seulement dans les contraires, mais dans les contradictoires ; elle réunit non-seulement ce qui est entièrement opposé, mais ce qui se nie dans toute la rigueur du terme. » — On trouve même dans dom Deschamps une métaphysique de la religion qui a devancé l’hégélianisme dans la tentative d’expliquer panthéistiquement les dogmes chrétiens. Il admet, dit-il, la création, et reconnaît que Dieu a fait le monde de rien, car il l’a fait de lui-même, qui en un sens est le rien. Il admet la trinité, car Dieu, suivant l’ancien axiome orphique rappelé par Plotin dans le Dialogue des Lois, est « le commencement, le milieu et la fin. » Il admet le péché originel, qui n’est suivant lui que le passage de l’état de nature à l’état de lois, et, pour lui, la rédemption, c’est le retour à l’état de nature, c’est-à-dire l’abolition de la propriété, en un mot le pur communisme. Le hardi bénédictin ne s’arrête pas même là,