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son linceul ? Ne vois-tu pas les eaux du Jourdain devenir plus pures pour baigner le corps de Jésus ? Voilà les bergeries des pasteurs, courons-y ; voilà le mausolée de David, entrons-y prier. Écoutons : c’est le prophète Amos, qui, du haut de sa roche, embouche la corne des bergers, et fait retentir au loin tout le pays. Puis entrons dans Nazareth, cette fleur de la Galilée, comme le dit son nom, et ensuite, par Siloh, Bethel et d’autres lieux où des églises s’élèvent comme les étendards des victoires du Christ, nous retournerons vers notre caverne. Là nous chanterons toujours, là nous pleurerons souvent ; le cœur blessé de la flèche du Seigneur, nous dirons ensemble : J’ai trouvé celui que cherchait mon âme, je le tiens et ne le laisserai point partir. »

La lettre de Jérôme se terminait ainsi :

« Nous qui avons déjà traversé en flottant bien des espaces de la vie, et dont la fragile nef, battue par les tempêtes, brisée par les écueils, fait eau de toutes parts, hâtons-nous d’entrer dans le port. Ce port, c’est la solitude et les champs. Nous te les offrons. Ici du pain bis, des herbes arrosées de nos mains, du lait, notre gourmandise rustique, vile, mais salutaire nourriture ! À ce train de vie, nous ne craignons pas que le sommeil nous détourne de l’oraison, ou que des lourdeurs d’estomac interrompent notre lecture. En été, nous trouvons sous les rameaux d’un arbre la fraîcheur et la retraite. En automne, un lit de feuilles au grand air nous présente un lieu fait pour le repos. Au printemps, quand les champs se peignent de fleurs, quand les oiseaux gazouillent sur nos têtes, le chant des psaumes est bien plus doux. Arrivent l’hiver, le froid et les neiges, je n’ai pas besoin d’acheter du bois ; la forêt voisine m’en fournit assez pour veiller ou dormir chaudement à bon compte. Que Rome garde pour elle ses tumultes, que ses arènes cruelles rougissent toujours du sang des gladiateurs ; que des applaudissemens insensés ébranlent toujours son cirque, et que la luxure règne sur ses théâtres ; enfin, pour parler de nos amis, que le sénat des matrones y soit visité chaque jour ! Nous autres ici, nous pensons qu’il est bon de s’attacher à Dieu et de mettre en lui toute son espérance, afin que quand nous changerons cette pauvreté d’ici-bas pour les richesses d’en haut, nous puissions nous écrier à notre tour : « Que désirai-je dans le ciel, et que t’ai-je demandé sur la terre, sinon toi seul, ô mon Dieu ? »

Marcella ne vint point, et elle fut plus utile aux solitaires ses amis dans la ville du Capitole que dans celle du Golgotha. Vers la même époque, Jérôme écrivait à Pammachius : « Tu ne reconnaîtrais pas ta belle-mère et ta sœur, si tu les voyais aujourd’hui, leur corps s’est fortifié à l’égal de leur âme. Elles qui, du vivant de Toxotius, étaient les esclaves du siècle, ne pouvaient ni respirer