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compte des faits qu’on ne peut éclaircir dans l’examen des faits qu’on peut connaître, et, renonçant à tout système sur l’union du corps et de l’âme, on en pose, on en exprime la distinction comme si cette union n’existait pas ; mais, cette union étant un fait certain, c’est la distinction qu’on réussit à rendre douteuse. Du moins on la hérisse de difficultés épineuses dont on ne sera quitte qu’à la condition de se faire, fût-ce par voie de supposition, ce que Bacon appelle doctrina de fœdere, c’est-à-dire une doctrine des rapports du physique et du moral.

Ce n’est pas tout. On ne réussira jamais à instituer une saine théorie de l’âme dans son état actuel, si l’on s’interdit de la considérer dans son passé et dans son avenir. Quel moyen de parler affirmativement de la nature de l’âme, si l’on ne se fait absolument aucune idée de son origine, et si l’on prend le parti de la définir de telle sorte qu’elle n’ait pas d’origine possible ? J’ai remarqué déjà que la théologie s’est montrée souvent plus hardie que la philosophie. Ainsi les théologiens n’ont pas reculé devant ce problème de l’origine de l’âme ; les philosophes s’en éloignent au contraire avec un saint respect, et, sous prétexte qu’il est impénétrable, le déclarent indifférent. Les pères de l’église, à leur tête saint Augustin, à leur suite saint Thomas d’Aquin, sont loin d’en juger ainsi. Ils veulent savoir d’où vient l’âme en naissant, tandis qu’Origène, qui la dit préexistante à cette vie, croit n’avoir plus besoin d’expliquer sa naissance. J’ouvre au contraire nos traités de psychologie et les plus récens, je consulte M. Garnier, M. Waddington, M. Nourrisson[1] ; ils gardent le silence sur ce point obscur et délicat. On dirait qu’ils se récusent devant la question, comme si elle appartenait exclusivement à la physiologie ; mais alors de quel droit parler de spiritualisme, et lorsqu’on en parle, lorsqu’on affirme que l’âme est un esprit pur, n’est-on pas tenu de montrer qu’un esprit pur peut naître ou survenir dans une génération qui semble purement organique ? Comment d’ailleurs l’origine de l’être ne serait-elle pas une question de métaphysique ?

Ainsi, faute d’avoir assez exactement déterminé la nature de l’âme, on rend impénétrable l’obscurité de ses rapports avec le corps, et, faute d’avoir éclairci les deux questions, on élimine arbitrairement celle de son origine. Or ces éliminations ou ces abstentions successives ont finalement pour effet d’envelopper dans la même proscription toute recherche sur le, mode d’existence de l’âme après la mort ; on la déclare bien immortelle, mais on ne prend pas la peine d’examiner, de conjecturer comment cette im-

  1. Traité des facultés de l’Ame. — De l’Ame humaine. — La Nature humaine.