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contre la Russie. De telles explications n’étaient cependant pas de nature à rassurer le cabinet de Vienne, d’autant plus qu’un rapport secret du général Benedek lui signalait en même temps une recrudescence d’agitation en Vénétie et demandait la formation immédiate d’un corps de 60,000 hommes près de Vérone[1]. Il n’en fallait pas tant pour rendre l’Autriche méfiante, pour lui faire voir partout des embûches et des pièges : aussi le comte Appony reçut-il promptement des instructions pour féliciter le gouvernement britannique de son « initiative, » à laquelle le cabinet impérial s’empressait d’adhérer en tout point.

L’adhésion de la Russie ne s’obtint pas avec la même facilité. Le prince Gortchakov, on s’en souvient, n’avait pas été aussi complètement que M. de Rechberg pris au dépourvu par le discours du 5 novembre ; il n’était pas resté tout à fait étranger à la brusque évolution de la France, qui faisait alors l’étonnement du monde politique : il ne pouvait donc décemment condamner sans phrase et sans délai une pensée dont il avait lui-même déposé le premier germe dans ses insinuantes conversations avec le marquis Pepoli[2]. D’ailleurs il était dans l’intérêt manifeste du cabinet de Saint-Pétersbourg de laisser l’incident se prolonger et s’envenimer ; on tenait aussi à faire quelque peu expier à lord Russell le ton magistral de ses récentes remontrances, et on ne céda à ses sollicitations de plus en plus vives qu’après avoir reçu des explications très satisfaisantes et catégoriques, après s’être bien prémuni contre tout prochain retour de l’entente entre les deux grandes puissances de l’Occident. On trouve à ce sujet, dans la correspondance de lord Napier, un passage éminemment significatif, et qui n’a pas manqué d’être relevé dans les discussions du parlement britannique aussitôt qu’on en a eu connaissance. « Le prince Gortchakov est d’avis, écrivait l’ambassadeur anglais en date du 6 janvier 1864, qu’il serait très désirable que l’action de l’Autriche et de la Prusse ne fût séparée de l’Angleterre et de la Russie dans aucune des questions pendantes. Les quatre gouvernemens, qui heureusement pensent et agissent maintenant en parfaite harmonie dans une question bien autrement importante que celle de Slesvig-Holstein, ne devraient

  1. Le rapport du général Benedek était daté de Vérone et adressé au comte Degenfeld, ministre de la guerre. Le gouverneur-général du royaume lombardo-vénitien se prévalait surtout des papiers saisis sur un émissaire piémontais dans les environs de Peschiera. D’après cette correspondance, Garibaldi, dont la complète guérison était prévue pour le mois de février, devait entrer en Vénétie, au commencement du mois de mars, à la tête de volontaires que le Piémont viendrait bientôt secourir « sans avoir déclaré la guerre à l’Autriche. » Avec cette « invasion » devait coïncider un soulèvement de la Hongrie.
  2. Voyez la troisième partie de cette étude, M. de Bismark et l’Alliance du Nord (Revue du 1er janvier 1865).