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fidèles en nombre immense occupaient l’enceinte de l’édicule et l’atrium contigu qu’on appelait le Golgotha. Épiphane prit d’abord la parole et se mit à prêcher contre Origène et contre les fauteurs de l’origénisme. Les coups frappaient en plein, à ce qu’il paraît, sur l’évêque, qui se trouvait là entouré de ses prêtres, et sur Rufin, qui était absent. Jean et son clergé grimaçaient, murmuraient, les narines serrées et se grattant la tête ; leurs gestes, leur contenance dédaigneuse, semblaient dire au public que le vieillard radotait. Enfin un archidiacre se détacha de la bande pour aller intimer à Épiphane ; au nom de Jean, l’ordre de cesser son discours. C’était une insulte comme jamais évêque n’en avait fait à son subordonné en face du peuple, et il la faisait à son égal par la dignité, à son supérieur par le mérite et par les cheveux blancs. L’assistance se leva, et de l’église du Sépulcre on se dirigea vers celle de la Croix, à travers le préau du Golgotha, que remplissait une foule serrée de gens de tout âge et de tout sexe. Épiphane eut peine à s’y frayer un passage, tant l’empressement était grand de le voir et de le toucher : des femmes lui présentaient leurs enfans pour qu’il les bénît ; d’autres embrassaient ses genoux, baisaient ses pieds, arrachaient les franges de son vêtement. Dans l’impossibilité d’aller plus avant, le vieil évêque dut s’arrêter. Jean se tordait de rage et criait qu’on fît place ; il ne rougit même pas de dire en face à son collègue que c’était un jeu qu’il jouait, et qu’il restait là immobile pour se faire adorer.

Ceci avait lieu dans la matinée ; une seconde convocation ayant déjà été faite pour l’après-midi dans la grande église de la Croix, le concours de fidèles y fut encore plus nombreux. On espérait entendre Épiphane, mais ce fut Jean qui parla. Pour bien comprendre la portée de son allocution, il faut se rappeler la proposition d’Origène touchant la ressemblance de l’homme avec Dieu, proposition vivement combattue par les catholiques. De cette controverse et des efforts tentés plus anciennement pour interpréter le texte biblique : « Dieu fit l’homme à son image et à sa ressemblance, » était sortie la grossière hérésie des anthropomorphites. S’attachant à la lettre de la Genèse et abusant en outre des expressions figurées sous lesquelles l’Écriture aime à peindre l’action et les sentimens de Dieu vis-à-vis des hommes et du monde, ces ignorans sectaires prêtaient au Créateur la forme matérielle de la créature ; ils lui supposaient un visage, des membres, des passions à l’instar de l’humanité. Qu’une pareille croyance, indigne de tout examen sérieux, se propageât chez des populations rustiques, capables de tout admettre, ou chez des moines livrés à leurs propres hallucinations, qui se contemplaient eux-mêmes en Dieu, cela se concevait, et en effet la secte ne s’étendait pas plus loin ; mais les origénistes, spiritualistes déliés, affectaient d’englober tous leurs adversaires dans