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de la Prusse, dit-il, est devenue une cause d’anxiété pour les petites cours ; on se demande si l’objet réel de ses armement est bien celui qu’elle indique, et si ce n’est pas plutôt contre l’Allemagne, et non contre le Danemark, qu’elle réunit tant de troupes… » Vint enfin la grande journée du 14 janvier. Ce jour-là, l’Autriche et la Prusse renouvelèrent leur motion du 28 décembre au sein de la diète fédérale, qui la rejeta à une majorité considérable (11 voix contre 5), et immédiatement après ce vote les deux grandes puissances déclarèrent « que, vu leur position spéciale et l’impérieuse urgence de la question, elles ne croyaient pas pouvoir se soustraire à l’obligation de prendre en main propre la défense des droits de la confédération dans le Slesvig et de procéder aux mesures réclamées par cette défense. » Qu’on veuille bien réfléchir sur l’étrangeté de la complication : c’est pour sa prétendue désobéissance au Bund que le roi de Danemark a été puni d’une exécution fédérale, et c’est pour mieux renforcer cette punition que l’Autriche et la Prusse notifiaient maintenant leur désobéissance au même Bund ! « La déclaration des deux grandes puissances germaniques, écrit sir A. Malet le 14 janvier, est une violation flagrante de la constitution fédérale. Les états secondaires poussent de hauts cris : ils disent que la diète est virtuellement dissoute !… » Ce fut en effet un coup d’état véritable, et la Saxe et la Bavière firent d’abord mine de résister. Déjà même on affirmait que les troupes fédérales dans le Holstein allaient s’opposer au passage de l’armée austro-prussienne, et certes le tableau eût été complet, si la campagne entreprise pour la délivrance des frères au-delà de l’Eider eût préludé et fini par une guerre civile entre les autres frères en-deçà de ce fleuve ; mais cette extrémité fut évitée. Le Bund trouva plus sage de se résigner, d’accepter quelques explications « rassurantes, » et bientôt (20 janvier) le général Hake, la grande épée de M. de Beust, évacuait Kiel pour prévenir tout « conflit » avec les généraux austro-prussiens qui préparaient leur entrée.

La politique « nationale » du farà da se était donc écartée, la « troisième Allemagne » refoulée dans son néant, et il se peut que M. Drouyn de Lhuys en ait éprouvé quelque regret. Lord Russell toutefois ne savait pas trop comment se réjouir de la victoire qu’il avait remportée de compte à demi avec la Prusse, car dans toute cette dispute si passionnée des diverses Allemagnes le débat n’avait roulé, qu’on nous passe l’expression, que sur la sauce à laquelle le Slesvig allait être mangé ; quant à l’envie de le manger, elle fut égale chez tous. Au début de cette campagne étrange, les relations s’étaient naturellement quelque peu détendues entre Londres et Berlin, et la diplomatie britannique avait cru le moment venu pour